J’ai donné il y a deux semaines un devoir de géographie à mes classes de Première S sur le thème de l’Union européenne, avec trois sujets au choix. C’était l’occasion pour les lycéens de montrer qu’ils avaient compris le fonctionnement de l’U.E. et qu’ils suivaient les grands débats qui tournent autour de la construction européenne : après tout, n’est-ce pas l’avenir qui leur est promis par les manuels scolaires et nos gouvernants de tout acabit ?
En fait, j’ai constaté que cette « Europe » dont nos politiques, fort discrètement en période électorale, vantent les mérites, n’est guère connue et encore moins comprise de la plupart de nos jeunes concitoyens. Certes, ils en connaissent les 27 Etats et les grands projets communs comme la PAC et l’euro, par exemple. Mais elle ne semble guère les motiver au-delà de l’habitude de la considérer comme une « nécessité » et une sorte de « fin de l’Histoire » continentale
Les débats sur « l’Europe puissance » (notion éminemment française et qui rompt avec le « seul économique »), qui me semblent pourtant fondamentaux, ne sont guère évoqués alors que c’est pourtant là la clé du problème institutionnel et géopolitique : il n’y a de « puissance », y compris économique, que s’il y a volonté et indépendance. Or, la construction européenne, impulsée par deux démocrates-chrétiens français, Jean Monnet et Robert Schuman, semble avoir ignoré, dès l’origine, cette règle simple et mille fois vérifiée par cette maîtresse terrible qu’est l’Histoire. De Gaulle, farouchement opposé à la supranationalité, ne méconnaissait pas cette donnée de la diplomatie et a, évidemment, rencontré la plus vive opposition de ceux-là mêmes qui l’avaient boudé durant la Seconde guerre mondiale, Monnet le considérant et le dénonçant aux Etats-uniens comme un homme dangereux pour la démocratie
L’attachement gaullien à l’idée d’une Europe confédérale est aujourd’hui caricaturé ou moqué comme une vieille antienne nationaliste française tandis que les chantres du fédéralisme qui se réclament des « pères de l’Europe » continuent à réclamer « une constitution pour l’Europe », dans une approche réglementariste qui veut même fixer par celle-ci la doctrine économique de l’U.E., au risque d’être comparée de façon un peu outrée au système totalitaire de la Russie communiste
Or, il est deux ou trois choses à rappeler :
- d’abord, ce n’est pas une constitution qui fait la volonté d’un Etat ou d’une alliance d’Etats, ni même sa réussite sur le plan politique ou économique : l’Angleterre n’a pas eu de constitution écrite dans son histoire des siècles passés, ce qui ne l’a pas empêché d’être, durant un bon siècle, la puissance majeure de l’Europe et, même, du monde industrialisé ;
- ensuite, l’union de vingt « passifs » ne fait pas une « action » ou une volonté efficace, pourtant nécessaire à toute politique digne de ce nom : et l’exemple du ralliement de la majorité des pays membres à la position des Etats-Unis dans l’affaire irakienne, en 2003, contre la position pourtant raisonnable de la France, suivie par l’Allemagne et la Russie, est la preuve, tragique, que l’union peut même se retourner contre les intérêts de l’Union européenne
;
- enfin, tout fonder sur la seule économie et permettre, au nom des sacro-saints principes du libre-échange, la liquidation de pans entiers des industries nationales au profit de quelques gros actionnaires et de fonds d’investissement étrangers, risque de se retourner contre les promoteurs de cette « anarchie féodale » et de décrédibiliser les institutions mêmes qui auront permis ce « laisser faire, laisser passer » sans limites sociales
Au regard des copies d’élèves, ces enjeux ne sont pas vraiment évidents aux yeux des générations montantes, sauf pour ceux qui pensent sur le long terme, au-delà du seul présent, forcément condamné à n’être qu’un « moment » de l’Histoire, et qui sortent des autoroutes de la « pensée unique », autre expression pour signifier « l’idéologie dominante » de nos élites européanisées ou, plutôt, mondialisées. Je me souviens de cet avertissement de Régis Debray qui rappelait qu’à trop invoquer Monnet, c’est Maurras que l’on risquait de voir surgir
Il y a quelques raisons de le craindre
ou de l’espérer.
Avant le référendum perdu de 2005, il n'y avait jamais eu de débat européen avec enjeu en France. La ratification du traité de Maastricht avait été enveloppée dans le papier sulfurisé du progrès obligatoire opposé aux rancoeurs nationalistes qui sentaient le pipi de chat.
Mais même à l'occasion de la campagne référendaire de 2005, on s'est vautré dans la pire démagogie au lieu de discuter. Du côté de la classe politique institutionnelle l'Europe était une évidence comme le Gulf Stream, de l'autre le fourrier de l'Apocalypse.
Les 3 questions que vous soulevez sont essentielles au débat. On aurait dû commencer, bien avant Maastricht, à discuter de la Confédération vs. la Fédération par exemple, et cela lors du référendum d'intégration du Royaume Uni sous Pompidou. Hélas !
Il n'est donc pas surprenant que les lycéens ne soient pas imprégnés de ces questions. Finalement on ne les leur a jamais posées. Pire, il semblerait qu'on s'en garde bien !
Rédigé par : Catoneo | 30 janvier 2007 à 15:56
Au quotidien l'Europe est une réalité peu palpable. J'ai quitté la France titulaire d'un capes d'anglais qui ne me permettait pas d'enseigner en Allemagne où j'aurais dû reprendre le chemin de la fac pour étudier une matière supplémentaire (les profs Allemands en enseignent deux) + la "Pädagogik", passer mon Staatsexam et faire un an et demi de stage au lycée. Bilan: un capes pour rien et des années perdues. Vivant en Allemagne depuis 20 ans je n'ai quasiment aucun droit de citoyenne bien que touchée par nombre de décisions politiques. Il me faudrait pour cela prendre la nationalité allemande.
Rédigé par : Victoire | 04 février 2007 à 03:07