En quelques semaines, le candidat devenu Président Nicolas Sarkozy est passé du statut d’ « homme dangereux » à celui d’ « homme providentiel » : en un temps record, après les émeutes des centres-villes qui n’avaient rien de très populaires et qui, au regard des condamnations, concernaient des jeunes des classes moyennes et non des milieux ouvriers ou déracinés, M. Sarkozy a réussi ce tour de force de faire mentir les journalistes qui annonçaient une situation conflictuelle permanente du jour de l’élection présidentielle à la prochaine
Mieux, il a « conquis » ce qui lui semblait refusé, un « état de grâce » presque providentiel. Du coup, la Gauche déjà sonnée par la défaite s’est enfoncée dans une crise de confiance et de conscience dont elle n’est pas encore prête à sortir, faute de pouvoir proposer une alternative crédible à la République sarkozienne et de pouvoir réagir à cette « ouverture » qui la prive d’arguments et de quelques symboles de ce qu’elle prétend être : ainsi Kouchner et Hirsch, dont les rôles respectifs et la crédibilité dans l’action humanitaire valent toutes les légitimités électorales
Ce Président qui, à quinze jours du premier tour de la présidentielle, semblait douter face à la vague du « Tout sauf Sarko » et subissait une campagne de rumeurs assez indigne (et je le dis en rappelant ma défiance à l’égard du patron de l’UMP), bien dans le style d’une République qui, dans ses luttes intestines, applique le célèbre mot d’ordre de Voltaire : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose »
; ce Président, donc, a coupé l’herbe sous le pied de ses contradicteurs en assumant (stratégiquement ou sincèrement ? Ou les deux à la fois ?) les héritages les plus divers de la France et de son histoire, sans regarder à l’étiquette de ceux qu’il citait (récupérait, diraient certains
). Pour ceux qui ont lu son discours d’investiture de candidat de l’UMP de janvier dernier, il n’y a, en fait, aucune surprise : il reste fidèle à cette ligne suggérée par son conseiller Henri Guaino, bon lecteur de Marc Bloch, cet historien qui affirmait que ceux qui ne pouvaient être émus par le sacre de Reims et la fête de la Fédération tout ensemble ne pouvaient comprendre l’Histoire de France, et son âme.
M. Sarkozy a aussi eu l’intelligence de ne pas mettre son « joker », Rachida Dati, à un ministère « typé », style « égalité des chances » ou « intégration », ce qui aurait paru en faire un « alibi » et non un ministre à part entière ; de plus, madame Dati dispose d’une bonne côte dans le monde de la Justice et sa nomination, qui a privé Patrick Devedjian d’un ministère qu’il espérait, a même été saluée par la Gauche, doublée dans les actes par le nouveau Président.
Bien sûr, le temps fera son office et, comme dans toute République dont la Présidence est fruit de l’élection populaire, viendra l’heure des désillusions : à trop attendre comme à trop promettre
Mais nous n’en sommes pas là.
Fidèle à ma ligne de conduite qui consiste à ne pas faire la politique du pire (« la pire des politiques », disait Maurras, pour une fois à raison), il peut m’arriver de saluer certaines mesures et certains propos (et propositions) du nouveau président et de son gouvernement (le premier ministre semblant bien effacé dans la nouvelle architecture sarkozienne
) : cela ne fait pas de moi un « rallié », bien sûr. Mais j’essaye de faire de « l’opposition constructive », et non de « l’opposition obstructive », peu honorable et souvent plus imbécile qu’utile et juste. Ne compte, pour moi, que ce qui peut être utile et bon pour la France et, par là, pour le monde qui, comme Bernanos l’a maintes fois rappelé, « a besoin de la France ».
En tout cas, il est nécessaire de poursuivre, inlassablement, cette « régence politique » que représente, en sa pensée et sa pratique, le royalisme français et de rappeler, dès que l’occasion s’en présente, les devoirs de l’Etat, qu’ils soient politiques, diplomatiques ou sociaux. Inlassablement, rappeler que la France n’est pas « finie » mais qu’elle est la condition de notre vie sociale et politique, au-delà des temps et de l’espace, bien plus que cette « Europe » dont certains nous expliquent désormais que le titre ne correspond plus à l’ensemble qu’il s’agit de construire
Inlassablement, lutter pour que notre pays ne devienne pas une grande zone pavillonnaire sans âme et sans mémoire ; pour que nos territoires et nos patrimoines ne soient pas des « musées » mais des lieux de vie et de création éternellement renouvelée ; pour que notre nature humaine ne soit pas ravalée au simple fait de consommer et de voter ; pour que la culture ne soit pas qu’un simple catalogue de la FNAC ; pour que la biodiversité, autant des forêts, des champs que des fleuves et des mers, ne soit pas sacrifiée à l’égoïsme des hommes de la société de consommation et de loisirs.
Ce ne sont pas les champs de bataille qui manquent pour les royalistes ! Que la République sarkozienne tienne aujourd’hui le terrain de l’Etat ne signifie pas qu’il faille le lui abandonner ou négliger ceux qu’il évite par prudence toute électorale. Notre « régence » n’est pas un exil ni même une « émigration intérieure », mais une « active attente », de celle qui fonde les conditions d’une Nouvelle Instauration