Il est des moments de grande émotion, parfois, y compris dans des lieux plus habitués au cérémonial qu’aux sentiments, et je dois avouer que la relation que « Le Monde » de samedi dernier (2 juin 2007) a faite des « adieux » du cardinal Lustiger à l’Académie française a décrit l’un de ces moments si particuliers qui touchent ceux qui en ont été les témoins mais aussi les lecteurs : après le vote en faveur de Max Gallo, au moment où les Immortels sont en train d’examiner le mot « républicaniser », « un huissier ouvre la porte pour laisser passer le retardataire, qui demeure près de l’entrée.
« Monsieur le cardinal, je suis heureuse de vous accueillir. Nous vous annonçons que, n’ayant pu hélas vous attendre, nous avons élu Max Gallo », lance gentiment Florence Delay, la directrice en exercice. Le silence est toujours presque parfait, dans cette assemblée où on ne prend pas la parole sans autorisation et où on ne coupe jamais celle de l’autre. Mais, à ce moment précis où l’homme d’église se met à parler, sous le portrait du cardinal de Richelieu, ce silence devient d’or.
« Le nouvel élu est notre élu à tous, rappelle le cardinal en saluant l’élection de l’historien. Mais en réalité, je ne vais pas vous le dissimuler, je ne suis pas venu pour vous retrouver, je suis venu pour vous quitter. Vous ne me reverrez pas. J’en suis triste, mais je sais que je ne cesserai pas de penser à vous. Les premiers seront les derniers. Ici, je n’ai pas été très assidu, mais là où je serai, je serai très présent pour m’occuper de l’Académie, je vous donne l’assurance de mes prières, ici et ailleurs », finit-il.
« On jouait Le Cardinal d’Espagne de Montherlant, résume l’un des présents. On n’en croyait pas nos oreilles, au sens littéral de l’expression. » Les uns après les autres, les académiciens viennent embrasser ou serrer la main du vieil homme « avec cette fausse cordialité de traversée de couloir » qui permet de masquer si bien trouble et chagrin. « Quand je dis adieu, je dis à Dieu, à vous, à tous », l’entend-on glisser à son ami, l’avocat Jean-Denis Bredin. La séance est suspendue : les Immortels n’ont plus le cur à leurs travaux »
Cette scène qui n’a pas, à ma connaissance, été « médiatisée » ou « filmée », m’a profondément touchée à travers la lecture de cet article. Savoir vivre, savoir partir
Le cardinal Lustiger a donné là une véritable leçon d’humilité devant notre condition de mortel humain, devant le terme : en une époque où la mort est chassée de notre société au point de « délocaliser » les cimetières aux sorties des villages, parfois (triste mais véridique
) près de la déchetterie locale (!), en un temps où elle est aussi « spectacularisée » comme pour la rendre moins terrifiante et moins réelle, les adieux de Mgr Lustiger n’en ont que plus de sens.
Il est des morts qui donnent sens à certaines vies, il en est qui ne sont que la suite, l’aboutissement, d’une vie pleine de sens : ainsi, celle de ce cardinal qui s’absente et s’excuse auprès de ses amis, auprès de nous, de ne plus suivre le même chemin terrestre et de partir vers d’autres cieux.
Que l’on soit croyant ou pas, cela mérite plus que le respect : l’estime.
merci pour cette note.
Rédigé par : Raph | 05 juin 2007 à 10:36
merci pour ce témoignage ! Effectivement je ne l'ai lu, ni vu nul part.
Rédigé par : frédo | 17 juin 2007 à 17:18
Vous avez trouvé les mots justes pour parler de ces adieux de ce grand cardinal à l'Académie.
Comme il a dû prendre sur lui pour faire ce geste (lui qui a caché autant qu'il le pouvait sa maladie), quelle humilité de sa part !
Rédigé par : Thierry | 24 juin 2007 à 22:34
thanks share!
Rédigé par : wow gold | 08 octobre 2007 à 19:47