Voici la suite de la note "Les arguments historiques ne suffisent pas" publiée il y a quelques jours sur ce même blog : en fait, ces deux notes et les suivantes forment un long article que le journal L'Action Française 2000 va publier dans son numéro du mois d'août qui paraît, je crois, vendredi. Je souhaite que cela soit l'occasion d'ouvrir un débat sur la Monarchie et sur ce qu'elle peut, ou doit être... mais aussi sur les arguments monarchistes contemporains...
Il faut réintroduire la notion de long terme dans la politique et le rôle des royalistes est d’en montrer tout l’intérêt pour la société, cela pour avoir une chance d’être entendu, ou au moins écouté, par nos concitoyens. De nombreux philosophes et hommes politiques évoquent cette nécessité d’une inscription du long terme, du « temps long » dans l’action de l’Etat pour que celle-ci et celui-ci soient efficaces. Ainsi l’an dernier, au mois de juin, le philosophe Michel Serres discourait sur France-info de la question de la vitesse et du temps, et il expliquait que notre société ne « prend plus le temps », qu’elle ne cesse de courir, par exemple d’une élection à l’autre. Et Serres de regretter que, dans le domaine politique, tout se fasse désormais dans la précipitation et sur le court terme, alors que la véritable efficacité est rendue possible par le long terme : le philosophe insistait alors sur la nécessité de créer des institutions qui disposent du temps, du long terme. Il insistait même lourdement sur cet aspect qu’il juge primordial pour la mise en place de réformes et de politiques digne de ce nom
Le journaliste qui l’interrogeait tirait alors la conclusion qu’il faut, donc, désormais trouver ou fonder ces institutions : quel aveu, et quelle belle défense, sans la citer, du seul régime qui s’inscrit, par essence, dans le temps et la durée, c’est-à-dire la Monarchie héréditaire
Cela rappelle un propos du comte de Paris (1908-1999) sur ce thème : « Etre dans la durée qui suppose la mémoire du passé, préparer l’avenir en fonction du présent qu’il esquisse déjà, envisager le long terme ; tel est bien l’essentiel du programme de toute politique », et Stéphane Bern, qui commentait ce texte, précisait : « Seule, en effet, la stabilité du pouvoir permet de longs projets de rénovation, de transformation sociale, économique ou culturelle. Comment mesurer les effets d’une politique contre le chômage à court terme ? Comment évoquer une action diplomatique sans l’embrasser dans une perspective historique ? Un pouvoir qui n’a pas de lendemain assuré sombre vite dans les querelles et les divisions. La république gère le provisoire. La monarchie pense le long terme ». La continuité est un des arguments forts de la Monarchie, et Michel Serres, sans en prononcer le mot, a vanté les mérites de ce régime qui, par sa formule même, assure, par la suite des générations, son propre renouvellement, son propre rajeunissement
Contrairement à ce que certains pourraient croire, le plus fort argument et celui qui doit être le plus appuyé dans le discours monarchiste français s’il veut être crédible et donner de la « valeur ajoutée », y compris sentimentale, à la Monarchie, c’est celui de la transmission héréditaire de la magistrature suprême de l’Etat, de cette règle de succession qui, sans limiter l’être politique du Roi à une personne donnée, en fait un principe vivant et humanisé par des visages différents sans être personnalisé à l’extrême comme dans nos démocraties électorales et médiatiques, nos « démocraties émotionnelles » qui s’entichent d’idoles qu’elles brûleront le lendemain avec tout autant d’ardeur qu’elles y ont cru, ou fait semblant d’y croire
En somme, dans des sociétés démocratiques où le citoyen se comporte d’abord comme un « consommateur » ou un « mateur » tout court, il paraît utile de « refonder le Politique » sur ce qui est le plus naturel, le plus humain de l’Homme, c’est-à-dire le mode de transmission de la vie, du père au fils par l’intermédiaire de ce qui ne s’achète pas et échappe au choix de celui qui en est le fruit, la naissance. Bien sûr, cet argument de la naissance comme moyen de désigner le magistrat suprême sans en passer par les manipulations de l’Opinion ou les jeux de l’élection, cet argument-là est le plus combattu aussi par ceux qui se proclament républicains : « Comment ! Vous voulez confier le pouvoir au règne du hasard ? Mais n’est-ce pas dangereux ? Et injuste ? ». Effectivement, il y a la part de hasard qui est celle de toute naissance, dont on ne sait jamais ce qu’elle donnera, ange ou démon : mais n’est-ce pas aussi le meilleur moyen de ne rien devoir aux joutes oratoires et aux exercices intellectuels de la démagogie, tout en ayant des devoirs dont il est, dans le cas français, impossible de se défaire dans cette Monarchie qui, au-delà de la succession héréditaire, est depuis la fin du Moyen-âge « statutaire » et ne permet pas à l’héritier de « défaire l’héritage » ?
Est-ce dangereux ? Bien sûr, l’argument du « roi fou » vient tout de suite à l’esprit, et il est vrai que l’histoire de France en a compté au moins un, le roi Charles VI, au pire moment de la Guerre de Cent ans. Mais, justement, que s’est-il passé alors ? Beaucoup de sujets du royaume ont vécu la folie du roi comme la transcription dans l’Etat même des malheurs du royaume et la fidélité à son égard n’a pas été moindre que pour les autres souverains plus heureux. Cela ne remit pas en cause la Monarchie elle-même, alors même que les décisions du roi pouvaient entraîner la fin du royaume par le fameux traité de Troyes : mais la reconnaissance de son fils comme « gentil dauphin » appelé à régner par Jeanne d’Arc, en ne cédant pas à la facilité de chercher un roi de substitution dans une autre famille, marque bien que, si le fils du roi devient un jour roi, ce n’est pas pour faire la politique de son père mais SA politique propre, au-delà de ce qu’a pu faire son père dont il apparaît plus comme le successeur que comme le simple héritier. Et aujourd’hui, à l’heure de la bombe atomique, si le roi est fou ? En fait, le problème du handicap d’un prétendant au trône s’est posé dans la famille de Bourbon-Orléans et, tout à fait logiquement et justement, l’ordre de succession a été légèrement modifié sans que cela pose un problème particulier. D’autre part, le cas de la folie soudaine du Chef de l’Etat ne peut être limité aux seuls rois et l’histoire a montré que les peuples pouvaient s’enticher de personnalités troubles, voire démentes, et cela tout à fait démocratiquement avec des conséquences d’autant plus graves que la légitimité venait du « plus grand nombre » et de son assentiment
D’autre part, le Roi dans la Monarchie « à la française » n’a pas « tous les pouvoirs » dont un président de la République dispose, ne serait-ce que parce que, par principe, la Monarchie a assez de force et de légitimité par et en elle-même pour être capable de tolérer et permettre des « pouvoirs autres » que les siens, pouvoirs régionaux, pouvoirs municipaux, pouvoirs professionnels, pouvoirs sociaux, etc. Ainsi, cela limite mécaniquement les risques d’une « incapacité psychique » du roi régnant. La République n’a-t-elle pas connu elle-même de tels soucis, en particulier lors des deux dernières années du président Mitterrand atteint dans son être intime par la douloureuse maladie qui allait l’emporter quelques mois après son départ de l’Elysée ? Et le président Chirac n’a-t-il pas été accusé, malgré son élection triomphale de 2002, de ne plus avoir les ressources suffisantes pour exercer le pouvoir en fin de mandat ? Quoiqu’il en soit, ces deux Chefs d’Etat sont allés jusqu’au bout de leur mandat car rien ne les en empêchait et parce qu’ils étaient soutenus, parfois comme la corde soutient le pendu (en particulier dans le cas de M. Chirac
), par des partisans ou des opposants (de 1993 à 1995, c’était une période de cohabitation qui a clos le deuxième septennat mitterrandien) qui jouaient d’abord le jeu des institutions en espérant les garder ou les récupérer à leur profit.