La saga « Airbus » continue, pas forcément pour le meilleur : après les affaires financières, voici le temps des délocalisations annoncées, non plus en Union Européenne, mais vers la « zone dollar », en fait vers la Chine. Ainsi, le fleuron de l’UE, présenté hier comme « le symbole de l’Europe » (rappelez-vous de l’immense battage fait en mai 2005, à quelques jours du référendum, sur cette « Europe qui réussit » : doit-on en rire, ou en pleurer aujourd’hui ?), risque d’échapper, de plus en plus, aux travailleurs européens en attendant de se retrouver, pourquoi pas, aux mains de groupes chinois ou indiens (Mittal n’est-il pas dernièrement entré au capital d’EADS ?), qui nous revendront peut-être demain « nos » airbus… Lorsque j’avais évoqué cette possibilité l’an dernier, je n’avais rencontré autour de moi que des sourires attristés et des haussements d’épaules : sans doute pensait-on que ma santé mentale était altérée par l’usage à trop forte dose d’une imagination prospective et d’un pessimisme forcément de mauvais aloi… Je n’aime pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, être Cassandre : mais il faut bien un guetteur et chercher à prévenir, à alarmer, plutôt qu’à se réveiller le matin sans lit et sans plafond, le nez dans la boue.
La direction de la société d’EADS explique ses raisons de délocaliser par la trop forte appréciation de l’euro par rapport au dollar, ce que dénonçait au début de l’été le président Sarkozy, à l’époque rabroué sur ce sujet par Angela Merkel. En fait, n’est-ce pas un alibi car, au regard de l’histoire financière, il est arrivé, il y a quelques années, le phénomène inverse et il n’est pas impossible que la situation se retourne d’ici quelques mois et que le dollar devienne plus cher, ce qui, à nouveau, favoriserait Airbus… En fait, ce sont les actionnaires qui, dans une logique de seul profit (logique oublieuse des travailleurs et de leurs conditions de travail et de vie), poussent à la délocalisation dans des pays où le coût de la main-d’œuvre est fort bas. Dans cette même logique, EADS n’est pas protégé, quoiqu’on puisse en dire, d’une mainmise extra-européenne, comme évoquée plus haut. D’ailleurs, je me souviens d’une émission de radio entendue au mois d’août sur BFM, alors que je roulais vers Saint-Malo, où l’un des intervenants émettait l’hypothèse d’un patron japonais pour Airbus comme pour bien rappeler que la société EADS n’avait rien ni de national ni même d’européen… « La fortune anonyme et vagabonde », disait plein de colère le duc d’Orléans au début du XXe siècle.
N’est-il pas temps de rappeler haut et fort que le travail ne doit pas être sous la seule coupe de l’Argent et qu’il ne faut pas oublier que, derrière les chiffres et les bilans, il y a des hommes, des vies, des nations ? Faudra-t-il « renationaliser », y compris dans le cadre d’une entente intra-européenne, cette société EADS avant qu’elle ne commette l’irréparable ? Bien sûr, les lois internationales sur la liberté du commerce et les règles de l’Union Européenne l’interdisent. Faut-il se contenter, alors, de celles-ci et « laisser faire, laisser passer » ? Je ne le crois pas : il y a nécessité, parfois, de remettre le Politique au cœur de l’économique quand celui-ci oublie le social. Maintenant, encore faut-il penser cette nécessité, concrètement et non pas idéologiquement (ce qui serait pire que tout et entraînerait un étatisme néfaste et liberticide), et ne pas hésiter à en tracer quelques esquisses : le modèle libéral, arrivant à ses propres limites, doit pouvoir être dépassé sans risquer l’effondrement de l’architecture économique et sociale qui serait fatale à nos sociétés. Vaste chantier pour les penseurs et les « prospecteurs d’idées ». Vaste chantier, mais prometteur et nécessaire…
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