Il est des moments où je suis moins attentif à l’actualité immédiate, malgré mon écoute radiophonique et ma lecture des journaux, toutes deux quotidiennes : la mort de mon vieil ami Pierre Pujo à la veille du 11 novembre, juste le lendemain de la commémoration de celle du général de Gaulle (qu’il n’appréciait guère) m’a distrait de suivre le fil des événements. Cette « suspension de l’attention » m’a permis de flâner au long des années passées, au fil d’une mémoire qui parfois se fait oublieuse ou, au contraire, douloureuse : que de souvenirs, d’espérances, de visages dont beaucoup, désormais, se perdent dans une sorte de brume qui voilent les contours ou les obscurcissent…
La commémoration de l’Armistice de 1918, en un dimanche venteux où le ciel hésitait entre le gris acier et le bleu léger, coïncidait étrangement cette année avec cette remontée des souvenirs personnels mais aussi avec la bousculade des « événements » professionnels et l’annonce d’une inspection pour le jour même, à l’heure exacte, des obsèques de Pierre Pujo : Léon Daudet y aurait sûrement vu un « intersigne » mais je ne vois pas exactement encore quel sens lui donner…
En tout cas, la cérémonie du 11 novembre, pour laquelle j’avais invité mes élèves à se motiver, par égard et reconnaissance envers ceux qui, il y a tant de décennies déjà, se sont battus, ont souffert et sont souvent morts, a été un moment fort de recueillement et de mémoire, et la présence massive de jeunes était un bel hommage à cette génération foudroyée sur les champs de bataille de la Somme ou de Champagne. Les poèmes composés et lus par des élèves du lycée Hoche étaient simples et beaux, et mon ami Sébastien Lapaque, un ancien du lycée aujourd’hui écrivain et journaliste, semble les avoir appréciés, en particulier dans leur esprit. En cette heure de commémoration, il ne s’agit pas de se laisser dominer par la seule émotion mais d’en apprécier la valeur symbolique, de mesurer combien ces moments sont aussi fondateurs pour les jeunes générations et rappellent ces liens mystérieux au-delà des temps qui nous permettent d’être ce que nous sommes, libres héritiers des héritages passés, parfois critiques (« la vraie tradition est critique », affirmait avec raison Maurras), jamais prisonniers… Ceux qui font du passé un « devoir de mémoire » en oublient le nécessaire dépassement, non pour trahir mais pour poursuivre l’histoire : notre pays a encore tant à dire…
La sonnerie aux Morts retentit et je revois quelques photos de ceux qui ne sont pas revenus : Léon de Montesquiou, Henri Lagrange, Augustin Cochin, ces royalistes « couchés froids et sanglants » évoqués par Maurras dans ce livre nécrologique que, presque rituellement, j’ai toujours dans mon sac en ce jour du Souvenir et qui s’intitule le plus simplement possible « Tombeaux » ; Charles Péguy et tous ceux que je ne connais pas ; « les miens », mon arrière grand-père, le lieutenant François Mauxion, porté disparu en 1915, l’aviateur Monnier qui a son monument à l’entrée du cimetière de Saint-Brieuc ; je pense aussi à ceux qui sont revenus : mon grand-père maternel, Marcel Lechaptois, qui a si profondément marqué ma petite enfance, l’oncle Lesaige dont j’ai encore dans l’œil le grand tableau où il pose en uniforme chamarré et qui trônait dans la pièce « coloniale » de sa maison de Rennes… Ils forment ce panthéon de ma mémoire historique, celui qui débouche, en d’autres noms et visages, sur les allées de ma propre mémoire, intime, celle qui s’éteindra avec moi mais en laissant quelques traces en d’autres panthéons intimes, en d’autres personnes. « Mort, où est ta victoire ? » : la mémoire dépasse nos vies, elle se transmet tant qu’il y a des héritiers pour la recevoir…
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celui-ci sera définitif
Rédigé par : Charles | 14 novembre 2007 à 15:31