Dans une précédente note, j’ai commencé à évoquer les remarques que me suscite l’article de Catherine Chatignoux sur la construction européenne ; en voici la suite, à partir de la 2ème remarque…
2° : Comme je l’ai écrit en 1°, il n’y a pas de « sens de l’Histoire », c’est-à-dire de « sens obligatoire », d’inéluctabilité politique. Mais d’autre part, contrairement à ce que croit Catherine Chatignoux, il est des gens qui contestent la direction et le caractère obligatoire que prend cette construction européenne, et le fait qu’ils soient minoritaires, souvent adversaires les uns des autres, parfois de mauvaise foi, n’enlèvent rien à l’existence d’un courant sceptique à l’égard de cette construction artificielle. Le problème est sans doute qu’il n’a pas grande visibilité ni lisibilité et que, dans la plupart des cas, il s’agit d’un sentiment d’hostilité confus et qui ne propose aucune alternative crédible. J’ai bien dit « dans la plupart des cas », ce qui signifie que, heureusement, ce n’est pas dans la totalité des cas… Effectivement, il est, à gauche comme à droite, des personnes qui réfléchissent au sort de la France (et, plus largement, des nations et des Etats politiques) au-delà même du sort de l’Union européenne et qui ne confondent pas l’une avec l’autre, l’une dans l’autre. Il suffit de lire, par exemple, le périodique de Paul-Marie Coûteaux, le « créateur » en France du concept de « souverainisme », ou de lire les livres de Jean-Pierre Chevènement pour s’en rendre compte. Le site www.lesmanantsduroi.com y fait régulièrement référence, ainsi qu’au général Gallois, l’un des fondateurs de la doctrine de dissuasion nucléaire française appliquée par le président de Gaulle. Par contre, d’autres contestataires se contentent de râler sans rien proposer : attitude vaine sur le long terme mais parfois, on l’a vu en 2005 dans certains débats sur le traité constitutionnel, fort efficace sur le court…
La géopolitique n’est peut-être pas une science mais elle est, en tout cas, éminemment politique, et c’est son étude et la recherche prospective en ce domaine qui peuvent ouvrir, proposer, pratiquer des voies nouvelles, et sortir des impasses actuelles, de cet élargissement sans fin ni fond qui transforme l’UE en un grand Marché impolitique, tenté par la seule « alliance occidentale » qui ferait des Etats-Unis le maître de cet ensemble économique européen… Se contenter de cette « logique historique inéluctable de la construction de cette Europe élargie », comme le dit Mme Chatignoux, serait suicidaire pour nos sociétés politiques. Les quelques opposants à cette logique l’ont compris, même confusément pour la plupart.
Le jour où il n’y aura plus personne pour remettre en cause cette « logique inéluctable », c’est qu’il n’y aura plus personne pour remettre en ordre les équilibres dans les relations internationales…
Attention néanmoins à ne pas commettre une erreur d’interprétation de mes propos : je ne suis pas un « idéologue » ou un « artificialiste » qui oublieraient les réalités et bâtirait un « ordre idéal » sur quelques idées fumeuses. Aujourd’hui, c’est à partir de la construction européenne et de ce que j’en vois et en pressens que je raisonne, tout comme à partir des réalités et des situations géopolitiques que je conteste cette « logique » ou, plutôt, son inéluctabilité comme je l’ai évoqué dans le 1°. C’est parce que je constate que la construction européenne actuelle se fait de manière idéologique et sur la base de préjugés, en particulier économiques, que je suis réservé à son égard, voire fort critique. S’agit-il, pour autant, de la défaire ? La réponse n’est pas si simple…
(à suivre)
S'il n'y a pas une logique inéluctable dans la construction européenne, il y a une tendance de fond : la majorité des pays de l'Union vivent sous la protection du parapluie nucléaire américain, et il n'y a pas d'autre choix. L'Europe dispose de trois puissances militaires qui bricolent une collaboration fondée sur des intérêts industriels, mais qui n'agrège pas d'alliés de proximité, sauf à entrer sur les chaînes de production.
La Géorgie qui ré-élit un président "occidental" va demander son intégration à ... l'OTAN ! Pas à l'UE ; la cerise sera pour plus tard.
Aucun, strictement aucun pays de l'Est, n'a confiance en l'Europe occidentale pour le protéger de qui vous savez. A juste raison, puisqu'aucun d'eux ne le fera !
A partir de là, et tenant compte d'une part, de liens anciens comme ceux du Royaume Uni avec ses anciennes colonies américaines, d'autre part d'un pacifisme allemand sensé masquer son hégémonisme actif (jusqu'à quand?), il n'est pas surprenant que la sûreté atlantique prime les solidarités européennes, et que la construction devienne impolitique comme vous le dites si justement. La France avait un projet à elle. L'heure de la France en Europe est passée.
Le projet est devenu libéral, mais, jusqu'aux limites qu'impose à chaque pays une sécurité bien comprise. Je veux dire que si celle-ci est avantagée par un choix fédéraliste, il sera exercé. Exemple : Schengen et ses interconnexions. Quand les politiciens français auront pigé que la motivation de tous les nouveaux pays est à 90% l'assurance de non-retour en arrière, leur analyse aura fait un bond ! Nos grandes théories, ils s'en foutent ! Ils veulent la paix pour eux et leurs enfants et prennent les garanties chez qui les offre.
Comment construire quelque chose dans ces conditions ?
Et comment s'en prémunir puisque vous n'en pouvez déjà plus partir !
Langue au chat !
Rédigé par : Catoneo | 07 janvier 2008 à 16:22
Tout à fait d'accord avec votre analyse, avec, néanmoins, l'espérance que les tendances ici évoquées ne soient pas totalement définitives, même s'il est bien tard...
La France a encore quelques cartes dans son jeu comme l'évoque Hubert Védrine, en particulier dans son Rapport sur la France et la mondialisation remis au président de la République et publié récemment. Il sera intéressant d'ailleurs de savoir ce qu'il en dira demain aux Mercredis de la NAR.
Rédigé par : Jean-Philippe Chauvin | 08 janvier 2008 à 09:31
S’agissant de la « construction européenne », nous pourrions plutôt évoquer la difficulté d’une interprétation facile et irréfutable du « sens de l’histoire ». Le choix politique d’admettre au sein de l’Union Européenne les pays qui avaient été sous le joug du communisme soviétique sans attendre qu’ils aient atteint une maturité démocratique minimale et un niveau de développement économique compatible avec celui des pays déjà membres, ce choix politique a complètement dénaturé le processus mis en œuvre après la guerre. Si bien qu’aujourd’hui l’impression dominante est que la boussole du sens de l’histoire s’affole et ne sait plus quelle direction indiquer.
Aussi je me demande si les « souverainistes », pas ceux qui sont dans une posture de contestation systématique, mais ceux qui s’interrogent sur le devenir des États, des Nations ne gaspillent pas leur énergie dans un combat déjà gagné. Le Traité de Lisbonne n’a plus beaucoup d’importance. Il ne sert qu’à colmater les fissures d’un édifice dont l’écroulement et la disparition sont inscrits dans les pages du futur. J’ai la faiblesse de penser que ce colmatage est utile en attendant qu’un nouveau projet dont la vocation serait de définir les caractéristiques d’une « communauté européenne » propres à relever les défis diplomatiques et économiques des décennies à venir tout respectant les États et les peuples, les histoires et cultures spécifiques et partagées.
Mais il est peut être trop tard pour un tel dessein : le mépris militant pour les valeurs de l’Europe affiché depuis tant de décennies par les intellectuels et les pseudo-intellectuels, l’exaltation du sentiment de culpabilité pour nos faiblesses et nos erreurs accompagnée d’une ignorance systématique de nos qualités et de nos forces concourent à détruire lentement la civilisation européenne telle qu’elle s’est affirmée depuis deux millénaires. L’arrivée massive de non-européens ne peut que renforcer cette « logique inéluctable de la déconstruction de l’Europe », notamment parce qu’on ne leur propose pas d’ « aimer » la communauté dans laquelle ils arrivent. Comment s’étonner alors que les stades sifflent tout haut ce que les partisans du dénigrement sifflent mezzo voce.
Rédigé par : RdeB | 09 janvier 2008 à 20:37
Bonsoir Monsieur Chauvin ! C'est Clément Tardy, ancien élève de Seconde 8 en 2004/2005 :)
Je passais vous dire un petit bonjour, vous souhaiter la bonne année et voir comment se portait votre blog ! Bizarrement, je le trouve très intéressant maintenant qui j'y comprends quelque chose !
Chose surprenante, et agréable, aucune note récente portant directement sur Nicolas Sarkozy. Vous devez bien être le seul site du web à oser cela !
J'essaierais de suivre régulièrement vos articles, bonne continuation et bonne rentrée !
Rédigé par : Tardy Clément | 09 janvier 2008 à 23:21