L’actuel débat sur les paradis fiscaux et sur ces sommes d’argent qui échapperaient ainsi au fisc français me semble être un leurre et l’arbre qui cache la forêt. Bien sûr, je suis choqué que des citoyens français, qui profitent de cette citoyenneté qui est la leur de droit, préfèrent placer leurs sous à l’étranger plutôt que d’en faire profiter, par le système de la solidarité et de l’impôt, notre pays. Je veux bien croire que les charges fiscales qui reposent sur certains d’entre eux soient lourdes et dissuasives mais pas au point de déserter notre nation, me semble-t-il, même si certains ont l’impression de ne plus travailler que pour le fisc…
Dans le cas du placement de fonds de riches contribuables dans les banques du Liechtenstein, cela aurait coûté à notre pays 1 milliard d’euros ces dernières années : ce n’est pas négligeable mais ce n’est pas non plus si considérable que cela, en particulier au regard des exploits du jeune Jérôme Kerviel… Et surtout, c’est une paille par rapport à ce que perd la France chaque année en « matière grise », notre principale richesse !
Je m’explique : dans nos grandes écoles sont formés chaque année des centaines de milliers de jeunes gens qui, leurs études terminées (études payées par leurs parents pour partie mais surtout par la nation pour la partie la plus importante, depuis la maternelle à la sortie des écoles susnommées), s’en vont, pour presque la moitié, dans des pays étrangers ou des entreprises multinationales états-uniennes (par exemple) : en a-t-on calculé le coût pour notre pays et ses caisses ? En a-t-on mesuré les conséquences et les pertes de revenus que cela entraîne ? Ce n’est pas un « misérable » milliard mais bien des centaines de milliards d’euros annuels qui sont ainsi perdus pour notre pays ! La « fuite des cerveaux », voilà la « vraie crise » !
Personnellement, je ne pense pas qu’il faille incriminer particulièrement ces jeunes qui sont recrutés pour leurs qualités et leurs compétences et parmi lesquels je compte nombre d’anciens élèves dont je suis content de voir la réussite. J’en veux beaucoup plus à un système qui se contente d’ « habitudes » et de faux-semblants, et préfère la routine à l’audace, au risque de faire fuir (ce qui se passe en définitive) de nombreuses jeunes intelligences vers des pays plus accueillants qui promettent des carrières plus profitables. Ainsi, notre administration parfois kafkaïenne, notre « fonctionnarisme » facile, notre fiscalité peu incitative pour qui veut « créer » en France, etc., tout cela dissuade parfois ceux qui veulent « respirer » au grand air de l’aventure industrielle ou technologique.
Et puis, il y a cette absence récurrente d’audace pour des projets trop novateurs ou trop « fous » qui fait perdre à notre pays des occasions extraordinaires dont d’autres, plus malins, profiteront : le dernier exemple emblématique c’est celui de la voiture à air comprimé, mise au point par un Français, en France, qui n’a trouvé aucun interlocuteur industriel dans notre pays (Renault et PSA aux abonnés absents…) et qui, du coup, a signé un contrat avec le géant indien Tata pour la production de plusieurs milliers de véhicules utilisant cette technique qui est, peut-être, celle de demain…
Ce qui manque en France, ce n’est pas la matière grise, c’est une volonté politique qui sache, comme à l’époque de Colbert ou du président de Gaulle, utiliser intelligemment ses ressources dans le cadre d’un grand projet national : or, on a l’impression que les gouvernements de la République préfèrent, aujourd’hui, s’en remettre totalement à « l’Europe » ou au « Marché » pour faire ce qu’ils n’ont visiblement plus l’envie ni la force de faire.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la réponse n’est pas seulement économique, elle est d’abord et éminemment politique : « faîtes-moi de bonne politique, je vous ferai de bonnes finances », disait le baron Louis sous la Monarchie restaurée du XIXème siècle ; en cela, il n’avait pas tort et sa formule reste d’une étonnante actualité.