L’armée française est inquiète : les récents événements de Carcassonne et, bien plus, leurs conséquences, en particulier la démission du général Bruno Cuche, chef de l’état-major de l’armée de terre, en sont les illustrations. La République française, étourdie par ses rêves européens et dirigée aujourd’hui par des hommes qui ne pensent qu’en termes comptables et d’images, n’a pas de vision géopolitique et stratégique à long terme et se réfugie, désormais, derrière l’allié « éternel » états-unien, ce qui peut passer pour une erreur magistrale : « Les alliances sont saisonnières » remarquait de Gaulle et il en avait pris la mesure par sa politique d’indépendance nationale assumée (dissuasion nucléaire, sortie du commandement intégré de l’Otan, politique industrielle volontariste, etc.).
La publication du récent « livre blanc » sur la Défense aurait pu être l’occasion d’un vrai débat dans le pays sur les perspectives stratégiques et sur la place des armées dans la société : cela n’a pas été le cas, et les militaires se sont sentis « floués » (je n’emploie pas les termes entendus ce ouiquende dans mes discussions avec de jeunes sous-officiers, de peur de choquer mes lecteurs sensibles…) et abandonnés, voire, au sens le plus brutal et symbolique du terme, trahis… Le malaise de l’armée est bien réel, et le gouvernement ferait bien de s’en préoccuper, en évitant de remettre de l’huile sur le feu par des déclarations injustes et inappropriées, comme celles du ministre Morin, personnage peu populaire dans les rangs kakis. La démission du général Cuche, malgré ses propres dénégations, apparaît à la fois comme un « rappel à l’ordre » du président suite à « l’insubordination » des officiers du fameux groupe « Surcouf » et comme un désaveu de ce « livre blanc » par les hommes de l’état-major…
Bien sûr, la « Grande muette » se contente et se contentera de grogner, car elle n’a guère de moyens d’action, de par son statut même : mais cette grogne n’est pas anodine et devrait inciter le gouvernement à plus de prudence et de réflexion, en ce domaine comme en d’autres. Surtout en ces temps dangereux où la paix n’est plus cette évidence tranquille qui semblait devoir tout recouvrir de son manteau étoilé…
Une armée qui n’a plus le moral n’est pas le meilleur moyen de maintenir la paix et de défendre ce qui doit l’être en cas de besoin : a-t-on oublié la triste leçon de 1940, ce que l’historien Marc Bloch qualifia d’ « étrange défaite » ?
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