Dix soldats français sont tombés lundi soir sous les balles en Afghanistan dans des circonstances qui, déjà, soulèvent la polémique. Mais avant d’aller plus loin, je m’incline respectueusement devant la mémoire de ces jeunes hommes qui portaient l’uniforme français, de ces hommes qui sont « l’épée et le bouclier » de la France, ici et ailleurs, et dont les noms vont s’inscrire désormais dans la pierre des monuments aux morts, à la suite de tant d’autres. Ce jeudi, alors qu’une pluie persistante mouille le pavé rennais, mon café a un goût de cendres. Devant moi, les gros titres de la presse s’étalent : hier la Géorgie, aujourd’hui l’Afghanistan et la France, parfois l’Algérie, et toujours le sang, la guerre malgré la « trêve olympique »… Lorsque l’été se refermera, il apparaîtra bien meurtrier cette année.
En ce jour d’hommage national aux soldats tombés en Afghanistan, les journaux s’interrogent sur les finalités de la présence française à Kaboul et ses environs, et sur les conditions de l’embuscade, les difficultés des soldats à se dégager : le manque de munitions, la question du commandement, le retard des renforts, etc. complètent ces interrogations.
Les propos du président de la République à Kaboul ne m’ont guère convaincu, c’est le moins que l’on puisse dire, et ils me semblent « décalés », en particulier au regard du pays concerné et de la politique militaire du président elle-même, mélange de langage comptable et d’esbroufe aux grands principes… Alors même que M. Sarkozy « défait » l’armée française au nom des économies budgétaires et qu’il se réfugie, sans contrepartie véritable, sous le parapluie états-unien au sein de l’OTAN (apparemment un « tigre de papier » piégé dans les montagnes d’Afghanistan), il s’agite et parle de « guerre à gagner » alors que les moyens n’y sont pas ! Les témoignages effarants sur l’état du matériel militaire français sur les terrains d’opération sont une indication inquiétante et qui laissent présager de nouvelles déconvenues, je n’ose écrire « défaites », terme qui risque pourtant de s’imposer dans les mois qui viennent si l’armée française n’est pas plus soutenue par l’Etat (et par autre chose que des mots et des hommages…) et si une véritable stratégie militaire sur le long terme n’est pas pensée dans les temps proches.
De plus, et c’est vrai pour l’Afghanistan comme pour d’autres théâtres d’opérations, il n’y a pas de victoire possible si, à côté du moyen militaire, il n’y a pas un véritable engagement civil de reconstruction du pays, routes et écoles, agriculture et ravitaillement : sans confondre les deux domaines, il est néanmoins évident que l’un n’est pas possible sans l’autre, et réciproquement : l’humanitaire et le militaire. La « politique de la canonnière », chère aux Etats-uniens, n’est pas la meilleure solution (et surtout pas la seule !) à apporter au terrorisme puisqu’il s’agit, dit-on, de cela en Afghanistan.
La France doit-elle se retirer du conflit aujourd’hui ? Cela serait reconnaître l’échec total de sept années de présence militaire et diplomatique françaises sur le terrain afghan, et apparaîtrait comme une défaite terrible. Mais il faut sans doute investir massivement dans la reconstruction de la capitale et des villes encore entre les mains des autorités du président Hamid Karzaï, et repenser les relations avec les différentes parties (en particulier ethniques et tribales) du pays : il ne faut plus attendre mais faire !
Certains diront que l’on « ne construit pas sous un bombardement », selon la célèbre formule de Maurras, mais gare au contresens sur cette citation et sur l’intention de son auteur ! Dans ce cas afghan, il s’agit aussi de reconstruire un Etat, moyen de permettre de sortir de la guerre civile dans laquelle la France apparaît aujourd’hui piégée, en partie par une rhétorique antiterroriste inadaptée à la situation politique intérieure de ce pays. Et si on ne tente pas de le faire, même sous les bombes, rien ne se fera de durable. N’est-ce pas ce qu’a fait Jeanne d’Arc en faisant sacrer roi le dauphin Charles en pleine guerre de reconquête, car elle savait que rien ne se construit sur la seule victoire militaire ?
Il ne s’agit pas d’imposer un modèle étatique à l’Afghanistan qui dispose d’institutions souveraines mais de l’aider à faire ses premiers pas, dans l’intérêt de tous, Afghans et autres. Ce n’est pas aux pays engagés dans le conflit de gouverner l’Afghanistan : cela n’empêche pas de l’aider, au-delà des débats institutionnels intérieurs, et sans préjuger de la forme actuelle ou future des institutions. D’ailleurs, ne paye-t-on pas ici l’erreur des Etats-Unis d’empêcher la restauration monarchique du roi Zaher Chah, aujourd’hui décédé, alors qu’elle était souhaitée, comme facteur d’unité et comme moyen de remettre les Pachtounes, majoritaires dans le pays, à la tête d’un pays dont ils sont les fondateurs ? En tout cas, il est bien tard, et il faut agir vite et bien, en politique autant qu’en militaire : la France, moins impopulaire que les Etats-Unis dans la région, peut encore jouer son jeu et être un arbitre utile au règlement de la guerre civile afghane, sans pour autant renier ses alliances et ses engagements.
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