Le 6 février 1934 a eu lieu, après un mois de manifestations déjà fort violentes, la conjonction des « mécontents » scandalisés par l’affaire Stavisky, « l’affaire de trop » qui mêlaient financiers malhonnêtes et politiciens véreux : en somme, une affaire aujourd’hui presque banale, au regard des multiples scandales qui n’ont plus assez des pages du « Canard enchaîné » pour être révélés…
Aujourd’hui, alors qu’il y aurait mille raisons de descendre dans la rue pour dénoncer les centaines de millions d’euros d’ « indemnités » (sic !) pour Bernard Tapie, les salaires mirobolants des affairistes financiers de tout acabit, les délocalisations spéculatives, les licenciements abusifs, les milliards gaspillés et les injustices sociales, les déclarations extrémistes de Laurence Parisot, les scandales financiers à répétition, etc. : rien, ou si peu ! Une sorte de fatalisme semble régner en notre vieux pays qui se complaît dans la mauvaise conscience permanente et le souvenir de ses colères passées, justes ou exagérées.
Pourtant, au comptoir des cafés, et Dieu sait si je les aime et les fréquente, les amertumes s’expriment avec des mots d’une crudité et, parfois, d’une cruauté que je n’apprécie pas toujours. Les verres délient les langues, et les colères. Parfois des insultes à l’égard des puissants, parfois aussi des larmes sur des drames sociaux personnels : me voilà, moi qui suis protégé par mon statut de fonctionnaire, témoin attentif des iniquités sociales d’une société qui a placé le Seigneur Argent au faîte de ses préoccupations et de ses occupations tout court…
Bien sûr, toutes les plaintes, toutes les douleurs n’ont pas le même sens, ni la même légitimité, et je me méfie des mécontents professionnels, des « yaka » ou des vendeurs de révoltes nihilistes, des consuméristes frustrés ou des casseurs compulsifs…
Mais, tout de même ! S’il nous faut accepter de faire des efforts pour participer au relèvement d’une économie aujourd’hui fragilisée par la série de crises qui s’emboîtent les unes les autres, s’il faut penser aux générations qui nous succéderont et dont il nous faut alléger les dettes, aujourd’hui astronomiques alors qu’elles n’ont parfois pas encore vu le jour, cela ne doit pas se faire au détriment de la nécessaire justice sociale, de cette condition de l’harmonie sociale sans laquelle aucune société ne peut normalement et éthiquement fonctionner.
Aussi, les propos de Madame Laurence Parisot dénonçant, avant même que l’Etat n’en ait formulée l’idée (quand M. Obama en fait un élément fort de son discours aux Etats-Unis, pourtant patrie-mère contemporaine du capitalisme financier et industriel), l’idée de plafonner les salaires des grands patrons de quelque manière que ce soit, me choquent et montrent l’aveuglement et la mauvaise volonté d’un certain patronat égoïste et, en définitive, inconscient : qu’on ne me dise pas que (si l’on reprend les 500.000 dollars annuels évoqués comme plafond par M. Obama) 360.000 euros par an ne soient pas une somme largement suffisante pour des grands patrons, quels que soient leurs mérites ! Au-delà, n’est-ce pas, surtout en période de crise mais aussi en période de prospérité, une somme qui peut paraître indécente comparée aux 20.000 euros d’un maçon qui, s’il n’a pas les responsabilités d’un chef d’entreprise, doit travailler (et ce n’est pas un travail de bureau !) à l’extérieur par tous les temps, y compris quand les températures avoisinent les – 10 ° comme il y a quelques semaines dans les Yvelines ? Ou par rapport aux 16.000 euros d’une agricultrice bretonne qui ne compte pas ses heures pour aider son mari, lui-même touchant à peu près la même somme en fin de mois parce que les grandes surfaces ou les industries agroalimentaires fixent eux-mêmes les prix (comme cela a été le cas il y a quelques semaines au détriment des petits producteurs laitiers) et menacent de se fournir « ailleurs » si les agriculteurs ont le malheur de demander ce qui n’est rien d’autre que leur juste dû ?
Dire cela est-il du « populisme » comme je l’entends parfois ? Pas vraiment, juste un rappel de la mesure et le refus de « l’hubris »… Je ne trouve pas choquant que certains salaires soient élevés et je refuse toute démagogie égalitaire, mais il est des limites, me semble-t-il, à ne pas dépasser : « le trop est l’ennemi du bien », ai-je souvent entendu dire mon père. Je n’ai pas toujours compris cette formule : mais, en entendant aujourd’hui les propos si peu éthiques de la patronne du MEDEF, je la comprends désormais, cette formule, et cette fois sans risque d’erreur…
Surtout lorsque cette même personne se faisait hier, et se fera demain encore, l'apôtre de la RSE, la Responsabilité Sociale de l'Entreprise, vue comme un élément correcteur des dérives du capitalisme. Cela ressemble fort, pour Mme Parisot, à un produit cosmétique...
Rédigé par : Thierry Levivien | 07 février 2009 à 19:09
Cher Monsieur Chauvin,
Je comprends votre position concernant les salaires des grands patrons. Gagner dix fois le salaire d'un ouvrier en un an est moralement difficilement acceptable. Mais ayant lu l'interview de Laurence Parisot le jour de sa parution, je pense que ses propos n’ont pas été bien interprétés.
Il n’y a jamais été question de légitimer les sommes astronomiques gagnées par des patrons. Il a été principalement question d’efficacité économique. Limiter des salaires, ce serait inciter certaines personnes à aller gagner ailleurs ce qu’ils ne peuvent plus gagner chez nous, ce serait inciter à chercher d’autre sources de revenu que le salaire, et inciter à placer ailleurs l’argent qui serait rester en France auparavant.
Certaines personnes ont soif d’argent, c’est peut être moralement condamnable, mais ces personnes sont parfois celles qui créent des PME qui deviennent des groupes et qui emploient des milliers de personnes. Il n’y a qu’en France où elles ne sont jamais remerciées pour le bien qu’elles apportent mais seulement condamnées pour l’argent qu’elles osent gagner.
Ces personnes sont celles qui sont souvent les plus compétentes pour relancer des entreprises en difficulté, même si elles ont parfois commis des erreurs (ou fautes) qui sont à l’origine de la crise actuelle.
Je vis cette année en Angleterre, un pays avec ses qualités et ses défauts, et qui est indiscutablement touché par une crise qui se constate tous les jours. Pourtant personne ne condamne ici les patrons ni leur salaire. Concentrer l’attention des gens sur cette problématique n’est pour moi absolument pas efficace dans la mesure où les salaires ne sont absolument pas un élément déterminant pour résoudre la crise. Je dirais même que c’est parfois démagogique. Il y a dans notre société bien d’autres situations immorales qui ont vraiment un impact sur l’économie, et donc sur le niveau de vie des 60 millions de Français.
A bientôt !
Thibaut R
Rédigé par : Thibaut R | 08 février 2009 à 16:33