Au moment même où j’écris, en ce début d’après-midi de lundi, la radio annonce que, du toit du siège de la Commission européenne à Bruxelles se dégage une épaisse fumée noire, ce qui n’est évidemment pas bon signe et n’a visiblement rien de commun avec la fumée blanche vaticane annonçant l’élection d’un nouveau pontife… Il se trouve que, drôle de coïncidence, j’avais l’intention, ce matin, d’écrire une note sur le président de cette même Commission, José Manuel Barroso, qui me semble l’incarnation révélatrice des errements et des dérives de l’actuelle construction européenne.
Cet habile politicien, passé du maoïsme à l’ultralibéralisme, partisan de l’intervention états-unienne en Irak en 2003 et acharné alors à dénoncer la position prudente de la France incarnée par le couple Chirac-Villepin, a réussi à se faire nommer à ce poste grâce au veto britannique à la nomination de celui qui était alors pressenti, le Belge Verhofsatdt (« trop français », selon Londres qui voulait faire payer à Paris son attitude de 2003 en s’opposant à tout candidat qui ne serait pas conforme à « sa » propre vision de l’Europe…), puis à celle de Jean-Claude Juncker (« trop europhile », selon Londres…). En fin de compte, pour éviter une nouvelle crise en Europe, la France a cédé et a accepté, de mauvaise grâce, de ne pas s’opposer au candidat des Anglo-saxons. Ainsi va l’Union européenne : rapports de forces, négociations et compromis, parfois pour le meilleur ou pour le pire, le plus souvent pour « le moins gênant », cette dernière formule étant souvent, elle aussi, différemment interprétée par les uns et les autres !
Cette dernière année de mandat a montré que M. Barroso était plus intéressé par sa réélection que par ses responsabilités et ses devoirs politiques, et la Commission n’a guère brillé, ni face à la crise venue des Etats-Unis et d’un système financier qui, d’ailleurs, reprend aujourd’hui sans aucun scrupule ses mauvaises habitudes d’antan, ni face à la crise des institutions européennes et à la question constitutionnelle propre à l’UE. La réélection d’un Chef d’Etat ou d’un haut responsable politique pose toujours la question des moyens pour y parvenir et de ce temps « prisonnier » de l’échéance et, parfois, de la démagogie et de l’inaction ou, plutôt, de la volonté de celui qui, toujours en place, se comporte à la fin de son mandat en simple candidat, devant plaire plutôt que décider librement…
La réélection de M. Barroso ne dépend pas exactement des résultats des élections parlementaires du 7 juin, ceux-ci s’annonçant d’ailleurs plutôt favorables aux partis libéraux-conservateurs regroupés au sein du Parti Populaire Européen (PPE auquel appartient le parti présidentiel français), mais bien des gouvernants des pays européens eux-mêmes regroupés au sein du Conseil européen : c’est donc eux que courtise M. Barroso, avec un certain succès d’ailleurs puisque les socialistes Zapatero (premier ministre espagnol) et Brown (premier ministre britannique) annoncent déjà qu’ils le soutiendront, malgré la grogne de leurs partisans respectifs…
D’ailleurs, la Commission européenne n’est parfois qu’un marchepied pour quelques politiciens en attente d’un destin « national » comme l’a montré il y a quelques années Romano Prodi, ancien président de la Commission devenu président du Conseil italien ou comme le démontre, actuellement, la commissaire lituanienne Dalia Grybauskaite qui a remportée hier, dimanche 17 mai, l’élection présidentielle de son pays (malgré une forte abstention de 49 %), situation que les médias semblent avoir « oubliée » pour ne pas « gêner » la campagne des élections européennes… Pour l’anecdote (mais est-ce seulement anecdotique ?), Mme Grybauskaite était commissaire au Budget européen… Il peut tout de même apparaître surprenant de débarquer ainsi du navire de la Commission alors que son mandat à Bruxelles ne s’achevait officiellement dans quelques semaines : doit-on en conclure que sa priorité n’était pas exactement « européenne » ?
Au regard de ces quelques éléments, le mieux ne serait-il pas, tout compte fait, de se passer de Commission européenne et de rendre ses attributions (en particulier, ce que rappelle l’hebdomadaire « Marianne » (9-15 mai 2009), son « droit d’initiative » exclusif qui fait que c’est « elle, et elle seule, qui propose les textes législatifs soumis au Parlement et au Conseil », selon le traité de Nice actuellement appliqué), aux Etats et aux parlements nationaux et, pourquoi pas, européen, en respectant à la fois le principe de subsidiarité évoqué par les traités européens et celui de la souveraineté des Etats (compris dans le sens particulier de la liberté d’action des Etats et de son application à sa sphère spatiale et fonctionnelle) ?
Evidemment, cette opération chirurgicale nécessiterait de repenser les institutions européennes et leurs mécanismes, mais aussi, sans doute, les liens d’alliance et d’interdépendance consenties des Etats de l’Union eux-mêmes. Le souci est, qu’aujourd’hui, l’imagination politique ne semble pas à l’ordre du jour au sein des « classes discutantes » (selon le mot de Max Weber) qui préfèrent l’utopie et le conformisme, les deux étant, ici, étonnamment liés dans ce que l’on pourrait qualifier de la formule « idéologie européenne », ou du terme « européisme ». L’imagination, elle, ne peut être fertile que si l’on tient compte des réalités, non pour s’en contenter, mais pour les transformer, en changer le sens et les applications, etc.
En fait, et cette campagne électorale, que j’essaye de mener tant bien que mal avec quelques heures arrachées à mes activités professionnelles et diverses, me le démontre chaque jour, il faut bien constater que « l’Europe est le grand impensé d’aujourd’hui »… Et ce ne sont évidemment pas les manœuvres des commissaires européens et du premier d’entre eux qui peuvent y changer grand-chose !
L'Europe se pense, actuellement, d'une autre manière que ce que l'on a voulu imposer jusqu'à présent.
je souhaite aller plus loin avec tous.
Rédigé par : T de La G | 21 mai 2009 à 19:36