Jérôme Kerviel est coupable… et il est condamné, non seulement à de la prison, mais à verser 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts à son ancien employeur, la Société générale ! A l’écoute du verdict à la radio, je n’ai pu m’empêcher de hausser les épaules, sans doute agacé par la bêtise d’une telle sanction qui fait penser aux jugements états-uniens qui condamnent des prévenus à quelques centaines d’années de prison… Mais plus sûrement énervé par le « deux poids, deux mesures » que manifeste ce jugement, en particulier au regard d’autres affaires récentes !
A écouter les discussions au comptoir des cafés et dans les rames du métro, hier et ce soir, mon agacement n’est visiblement pas isolé, et la presse elle-même se déchaîne contre le ridicule et le scandaleux de la situation : ainsi, dans « La Tribune », François Lenglet écrit justement : « A prononcer une condamnation fantaisiste, les juges prennent le risque de décrédibiliser leur institution qui n’en a guère besoin. A cogner comme des sourds sur un lampiste, fût-il coupable, ils s’exposent au reproche de rendre une justice biaisée, protégeant les puissants et s’acharnant sur les faibles. » Et c’est bien l’impression qui domine dans l’opinion, de plus en plus mécontente de voir par une décision douteuse un Bernard Tapie empocher 220 millions d’euros versés par ces mêmes contribuables à qui l’on demande de se serrer la ceinture, ou d’apprendre que madame Bettencourt, pour la seule année 2010, a « récupéré » plus de 30 millions d’euros au titre du bouclier fiscal, tandis que son ex-ami François-Marie Banier a reçu, de cette même riche héritière, environ 1 milliard d’euros sous forme d’œuvres d’art ou de cadeaux divers…
Par son jugement d’hier, la Justice française semble accréditer l’idée qu’elle est au service des puissants et d’un système économique et social de plus en plus ressenti comme injuste. Or, quand la Justice ne suscite plus le respect des justiciables, des citoyens et des observateurs étrangers, il y a un risque de la voir dépassée par d’autres formes de justice, plus expéditive, plus coléreuse, donc plus dangereuse pour l’équilibre social… Quand la Justice semble, trop souvent (et même si cela peut parfois être à tort), injuste, surgissent des « justiciers » qui, parfois, aggravent le mal au lieu de le soigner : je me méfie de la justice « populaire », vite terrible et pas toujours appropriée…
Que l’Opinion manifeste sa colère et son désir d’une Justice digne de ce nom, rien de plus normal et, même, de sain ! Mais il s’agit de remettre la Justice à son éminente place, de lui rendre sa légitimité et son autorité, de la libérer du règne des Puissants et de l’Argent dont elle semble trop souvent la captive, et non de « se faire justice soi-même ».
Entre le roi saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes et des magistrats visiblement déraisonnables et ayant perdu tout sens de la mesure, mon choix est vite fait ! La main de justice, symbole royal par excellence, doit être relevée : pas certain que la République, telle qu’elle apparaît aujourd’hui aux mains de l’oligarchie (de la ploutocratie, diraient certains), puisse accomplir ce relèvement… Sans doute faut-il revenir aux sources de l’arbitrage justicier pour relever le défi d’une Justice indépendante, sachant « raison garder » et « rendre droite justice »…
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