Je suis en ce moment quelque part dans la campagne, à une cinquantaine de kilomètres de Paris, et je suis réveillé tous les matins par le chant du coq, les aboiements des chiens et les… rugissements des lions ! Pour prendre un verre, il me faut marcher une bonne dizaine de minutes, passer devant le château et le parc animalier de Thoiry, et espérer que le dernier café qui subsiste (sur trois que la commune comptait il y a encore un an, deux ont fermé, peut-être définitivement…) soit ouvert : j’y côtoie des employés du parc, des retraités et des jeunes travailleurs qui viennent faire leur tiercé, quelques agriculteurs et d’autres qui sont jardiniers ou salariés municipaux. Parfois, quelque représentant de commerce passe rapidement avant de repartir voir des clients, ou une mère de famille un peu stressée se presse d’acheter son journal dans un lieu « si masculin »… J’y entends des discussions sur le temps qu’il fait, les taxes et les prix qui augmentent (un grand classique !), et, ce qui m’intéresse aussi, sur les actualités politiques.
Justement, les récents propos de Christian Jacob sur Dominique Strauss-Kahn, ceux-là mêmes qui provoquent tant de réactions indignées de la part des socialistes, sont l’occasion d’une de ces discussions de comptoir qui, si elles ne sont pas toujours de la meilleure qualité argumentaire, en apprennent parfois plus sur l’opinion publique que les sondages publiés dans la grande presse. Ainsi, le fait d’avoir dit que le directeur du FMI n’incarnait pas vraiment « la France des terroirs » ne choque guère et, surtout, paraît bien fondée aux clients du matin comme du soir, à ceux en particulier qui arrivent avec leurs bottes de caoutchouc crottées et leurs habits de travail plâtrés et peinturlurés : ce « monsieur DSK » ne leur ressemble pas et son air trop satisfait de lui et ses habits de bonne coupe déplaisent au « populo », qui n’est pourtant pas tendre avec l’actuel locataire de l’Elysée.
Quand on fait remarquer que Jacques Chirac ou François Mitterrand n’étaient pas vraiment habillés en « travailleurs », les clients du café haussent les épaules et font remarquer que, « eux, ils nous comprenaient ». « Regardez Chirac au Salon de l’Agriculture, il mange et boit comme nous, il a bon appétit et il rigole ! C’est un gars de chez nous, il n’est pas de la ville ! ». Inutile, semble-t-il, de rappeler qu’il vit à Paris et qu’il n’a peut-être pas forcément la « main verte », son image est celle d’un « homme qui comprend les Français », et sa popularité ne se dément pas, surtout depuis qu’il est à la retraite et en comparaison avec la classe politique actuelle !
En fait, les anciens présidents et ministres de la Cinquième République savaient, même s’ils étaient issus des élites universitaires ou de l’ENA, s’accorder avec le « pays réel » en sachant le flatter mais aussi parce qu’ils en connaissaient les « codes », les habitudes et les traditions, les envies et les réactions, et qu’il y avait « une sorte d’identité commune » fondée sur une histoire, une langue, des références communes, fortement « identitaires » (sans le côté polémique ou partisan qu’on donne aujourd’hui à ce terme) et enracinées quand, désormais, c’est le « mondial » et le « nomade » qui semblent dominer les classes dirigeantes, interchangeables et si semblables d’un pays à l’autre… MM. Dominique Strauss-Kahn et Sarkozy se ressemblent plus que les Français ne se retrouvent en eux ! Cela explique aussi cet éloignement des populations à l’égard de dirigeants en lesquels elles ne croient pas, en lesquels elles ne « s’incarnent » pas. Cette séparation est lourde de menaces pour l’avenir de la République elle-même car elle délégitime cette dernière qui n’apparaît plus comme celle « des terroirs » ni des personnes qui y vivent et y travaillent, et qui y votent !
En se « mondialisant », la classe politique dirigeante de la France a oublié qu’elle tenait encore sa légitimité du « pays électeur » et que celui-ci pouvait se rappeler, durement, à elle, jusqu’à vouloir en finir avec cette République oublieuse des racines de son histoire qui sont, aussi et qu’elle le veuille ou non, éminemment et parfois douloureusement, celles d’une France qui n’a pas oublié ce qu’elle doit à ceux qui l’ont faite, les rois capétiens… Et le « populo » pourrait bien finir par s’en rappeler, lui aussi, à l’heure des grands choix historiques qui se rapprochent…
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