Claude Berri n'était pas qu'un cinéaste, c'était aussi un collectionneur. A sa mort, et pour alléger des frais de succession importants, ses deux fils avaient entamé une procédure de dation en faveur du Centre Pompidou. Mais la logique du Marché, impitoyable, l'a emporté : mercredi soir, le site internet du « Journal des Arts » annonçait que les fils, dont le cinéaste Thomas Langman, s'étaient rétractés « pour vendre les oeuvres au Qatar pour une somme de 50 % supérieure à l'offre de l'Etat français »...
Plusieurs remarques : 1. il peut paraître dommage que des œuvres détenues par des collectionneurs français soient ainsi dispersées vers des pays dont la stabilité n'est peut-être pas certaine pour les années à venir, au regard des évènements actuels dans le monde arabe...
2. Cela étant, cela souligne aussi combien le marché de l'art est aujourd'hui « en pleine forme », au risque de créer de véritables « bulles spéculatives » qui risquent bien, comme les autres, d'éclater un jour ou l'autre.
3. Les fils de Berri font preuve d'ingratitude à l'égard de l'Etat et des contribuables français qui, à maintes reprises, ont participé aussi au financement des films qui ont fait la renommée et la fortune de leur père, et la leur, par contrecoup...
Il ne sert à rien de s'indigner même s'il est évident que l'attitude des fils Berri n'est guère honorable et qu'elle prouve que l'appât du gain est parfois plus fort que le sentiment d'appartenance à une communauté d'intérêts nationale, ce qui ne surprend pas vraiment quand on connaît l'état d'esprit des « élites » contemporaines, plus soucieuses de leurs profits que de leurs devoirs civiques...
L'Etat a, de toute façon, quelques moyens (fiscaux, par exemple) pour tirer un certain profit de cette transaction privée et il serait dommage qu'il n'en fasse pas usage... D'autre part, que quelques œuvres contemporaines changent de mains et quittent le territoire permet, après tout, de faire de la place pour de nouvelles oeuvres et de nouveaux artistes, en particulier français ou vivant en France, et il me semble que la France, « mère des arts » comme on le disait jadis, ne doit pas se cantonner à être un musée : elle doit permettre la création, la susciter, en toute liberté, en donnant leur chance à de jeunes artistes prometteurs, par exemple en leur dédiant des espaces de création où ils pourraient travailler à l'aise. Cela ne doit pas être une obligation, juste une possibilité : je connais quelques peintres et sculpteurs qui seraient ravis de disposer d'ateliers pour s'exprimer...
De plus, nos musées eux-mêmes ont les caves pleines de tableaux, de scuptures, d'oeuvres multiples et variées, qui, au lieu de s'entasser sans profit (ni pour les amateurs d'art ni pour les institutions elles-mêmes...), seraient susceptibles de « vivre leur vie d'oeuvre » chez des particuliers ou dans des établissements privés (ou publics, d'ailleurs), français ou étrangers. Il y a là, sans attenter au patrimoine culturel national, de quoi remplir quelques caisses aujourd'hui bien vides de l'Etat, et financer de nouveaux projets, de nouvelles initiatives publiques, sociales, industrielles, etc.
L'affaire de la succession Berri doit, au lieu de mobiliser le chœur des pleureuses, ouvrir quelques pistes de réflexion, et il me semble utile de tirer profit, pour l'Etat, de cette « folie » du Marché de l'art tant qu'elle peut rapporter encore quelques véritables avantages à notre pays... Cynisme de ma part ? Non, juste la volonté de « chevaucher le tigre », tout simplement, c’est-à-dire de saisir des opportunités sans se leurrer sur la réalité économique (voire culturelle, parfois) du Marché de l’art... Cela ne veut pas dire qu'il faudrait « tout vendre », mais simplement faire un heureux tri sans oublier que notre patrimoine mobilier n'est pas « immobile », et que c'est tant mieux ! Après tout, vendre les colonnes de Buren (sises au Palais Royal à Paris) à quelque magnat du pétrole oriental aurait été plus intéressant et plus profitable que de financer à hauteur de 14 millions d’euros leur restauration récente…
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