Après la dispersion des Bonnets rouges à l’automne 1675, il faudra attendre la période de la Révolution et des années 1790 pour revoir un tel mécontentement et une telle mobilisation des Bretons face à l’Etat, voire contre lui : les promesses révolutionnaires une fois envolées et la perte concrète et définitive de l’autonomie et des privilèges fiscaux, les Bretons se retrouvent fort marris d’une situation que, pourtant, certains d’entre eux, comme le député rennais Le Chapelier, ont créé et avalisé, de la nuit du 4 août à ses suites diverses et variées… La Révolution, avant même l’établissement de la République, a frappé plus fort que le roi Louis XIV qui, tout absolu qu’il était, n’avait pas osé, malgré la répression de 1675, imposer la gabelle et autres taxes, octrois et impôts français, à une province qui, même rebelle, restait une part de son royaume et dont il était, au regard des traités, le protecteur et, au regard du serment du sacre, le « père » : les hommes de l’Assemblée constituante, puis de la République, n’eurent pas de telles ambitions… Si la perte de l’autonomie politique elle-même n’inquiéta alors que les membres de la noblesse et quelques ecclésiastiques (et entraîna la création d’une Association bretonne très autonomiste et royaliste par un ancien compagnon de Washington, le marquis de La Rouërie, première ébauche de la Chouannerie, celle-ci militaire, politique et surtout nobiliaire), la nouvelle pression fiscale « égalitaire », d’une égalité nationale qui se marquait par un « rattrapage fiscal » assez rude, provoqua un fort mécontentement et un ressentiment qui s’accrurent quand la Révolution, à travers les décisions de la Constituante, supprima quatre évêchés de la province et priva l’Eglise locale de revenus qui lui permettaient de soulager les misères du temps. De plus, la répression contre les prêtres qui refusaient de prêter serment à la nouvelle constitution fit gronder des paroissiens attachés à leurs traditions et à leurs recteurs : certains notables républicains ne virent là que la survivance de vieilles superstitions quand, en fait, il serait plus juste d’y voir une forme, à la fois particulière et classique, d’enracinement remontant aux sources mêmes du christianisme breton, et constitutif d’une sorte d’identité collective sublimant les antagonismes villageois et les querelles anciennes de clocher (qui n’étaient pas que proverbiales…).
Cet enracinement véritable qui fait que les Bretons regardent plus souvent vers la mer ou vers le ciel que vers le Pouvoir central et la capitale, si ce n’est avec inquiétude et circonspection, explique que les révoltes y trouvent une énergie propre et une capacité, également, de résistance, fut-elle passive, à la répression et aux malheurs : les chouans de la Bretagne et de ses marges mayennaises et normandes, hommes parfois bien difficiles à discipliner, furent d’ailleurs ceux qui, même sous l’Empire napoléonien, poursuivirent une lutte clandestine apparemment vouée à l’échec, mais qui raviva et ancra pour près de deux siècles (y compris dans la lutte contre la tentative gouvernementale de construire une centrale nucléaire à Plogoff…) un esprit hostile à la centralisation parisienne, esprit que certains Parisiens de parti ou de gouvernement qualifient de régionaliste en espérant le décrédibiliser aux yeux de ceux des Français qui ne pensent qu’en termes d’Europe ou de mondialisation… Il n’est pas certain que les Bonnets rouges d’aujourd’hui, qui retrouvent les réflexes chouanniques du harcèlement et de l’esprit communautaire (et non pas communautariste…) et qui brandissent leur bretonnité comme un étendard de résistance (ici contre une pression fiscale imposée de « la capitale » et de Bruxelles) apprécient cette sorte de mépris si républicain et si oublieux de la pluralité française, cette pluralité qui « est » la France, cette pluralité aussi bien vantée par Fernand Braudel que chantée par Charles Maurras…