La Bretagne n’a pas toujours été française, comme semblent l’oublier de nombreux manuels d’histoire et les derniers jacobins qui confondent parfois liens féodaux et appartenance à un ensemble national : la formation de l’unité française a été longue, dure, parfois cruelle mais aussi indécise, et il a fallu près d’une dizaine de siècles pour que la France devienne ce qu’elle est, cette sorte d’évidence qui n’en était pas une à l’origine et que certains oublient pour se réclamer d’une utopie européenne qui est, d’abord, une idéologie de la négation de l’histoire mais aussi de l’avenir « au pluriel »…
Or, l’histoire de France est un patrimoine commun à tous les Français, même à ceux qui ne la connaissent pas ou ne s’y reconnaissent pas pour des raisons diverses qui ne sont pas toujours bonnes. Elle est aussi celle des provinces, y compris quand elles n’étaient pas encore françaises ! Or, lorsque j’étais enfant, à l’école primaire, puis au collège et au lycée à Rennes, je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu parler de l’histoire de la Bretagne et, d’ailleurs, elle n’apparaissait dans aucun programme ni manuel d’histoire de l’époque (ni d’aujourd’hui, d’ailleurs), même pas pour rappeler son rattachement à la France à la fin du XVe siècle… Et pourtant, je croisais des traces de celle-ci en allant à l’école maternelle (puis à Sciences-Po, pour quelques conférences publiques) rue de la Duchesse-Anne, en étudiant à l’école Saint-Melaine, du CP au CM2, puis au lycée Anne-de-Bretagne, dans lequel je fus professeur quinze ans après y avoir été élève… Mais, une fois passées les grilles de l’école et installé sur les bancs de celle-ci, plus rien ne filtrait de l’histoire de ma province natale, pourtant si originale ! Il me fallut attendre d’entrer à l’Université de Rennes2, aussi appelée Université de Haute Bretagne, pour entendre enfin évoquer le passé de la Bretagne, en particulier de son passé médiéval.
Aujourd’hui, l’enseignement de l’histoire au collège comme au lycée fait une place de plus en plus réduite aux grandes figures de l’histoire de France et, à en suivre les programmes, il est difficile de saisir les particularités de la formation de l’ensemble national français ou les diversités réunies sous l’autorité de l’Etat central… Ainsi, en classe de Seconde, rien ne permet de comprendre comment est né notre pays ni les grandes difficultés et les « grands miracles » qui lui ont permis de ne pas disparaître comme tant d’autres ensembles territoriaux ! L’histoire « désaccordée » des programmes scolaires n’est plus la source d’une « mémoire créatrice » qui est pourtant si nécessaire au « vivre-ensemble » national, surtout à l’heure de la mondialisation et des inquiétudes populaires : cette histoire-là n’est plus qu’une sorte d’« éducation à la citoyenneté » qui confine au formatage des pensées plus qu’à la formation des intelligences, et c’est fort regrettable mais aussi bien dommageable…
Sans doute faudrait-il, non pas simplement refaire les programmes ou les manuels d’histoire, mais les réinsérer dans l’espace historique local, qu’il soit régional ou communal, et, au-delà, national, ce qui, évidemment, n’exclut pas de traiter de l’histoire plus large encore, celle des grands ensembles, des découvertes, des religions ou des affrontements européens ou mondiaux, par exemple. Longtemps, la République n’a voulu enseigner, pour la France, qu’une histoire « une et indivisible », à l’image de sa propre définition idéologique : c’était et c’est toujours mutiler la mémoire et le mystère de la France !
« Nous sommes des héritiers », insistait Maurras tandis que Bainville expliquait que « le peuple français est un composé » : la richesse de l’héritage et la diversité des mémoires ne sont pas des obstacles à l’unité française mais, au contraire, son terreau et son enrichissement… D’ailleurs, Maurras rappelait que c’est aussi par l’étude de l’histoire de sa Provence natale qu’il s’est ouvert à la politique, et que c’est par le fédéralisme qu’il a nourri son amour de la France avant que, dans le même mouvement logique de réflexion historique (« l’histoire est notre maîtresse en politique », disait-il…), de conclure à la monarchie, cette « royauté fédérale des peuples de France » pour laquelle il a ensuite tant lutté !
Il y a quelques jours, le 9 janvier, la Bretagne commémorait, dans le grand silence des institutions nationales républicaines, le 500ème anniversaire de la mort d’Anne de Bretagne, duchesse de Bretagne et deux fois reine de France, inlassable combattante des libertés bretonnes : peu de jeunes Bretons savent pourtant qui elle est, et encore moins de Français… Pourtant, sans son mariage avec Charles VIII puis Louis XII, il manquerait à la France ce cap breton qui lui permet de s’élancer dans l’Atlantique, vers les lointaines Amériques ; il manquerait à la France cette part d’elle-même, si belle en ses paysages et si rebelle en ses hommes…
L’histoire de France, c’est aussi une histoire de ses provinces…
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