Voici la réactualisation d’un article écrit il y a déjà quelques années sur la question sociale en France et qu’il me semble utile de republier avec ces quelques aménagements qui n’en changent pas le sens général…
En cet été 2014, le chômage dépasse les 5 millions de victimes, les délocalisations continuent et les plans dits « sociaux » (sic !) frappent de plus en plus durement les travailleurs français, nous rappelant que la mondialisation n’est pas vraiment heureuse quand elle n’est plus que la recherche du profit immédiat, par l’achat (pour les consommateurs) ou par la spéculation (pour les financiers ou les actionnaires)… La crise qui perdure et s’aggrave dans notre pays comme elle s’enracine chez nos voisins du sud de l’Europe, fait donc resurgir de plus en plus la question sociale que les gouvernements et les institutions européennes proclamaient, il y a quelques années, « éteinte »… Une tromperie ou, dans le meilleur des cas, une illusion…
En fait, la question sociale n’a pas disparu (comme certains l’espéraient) avec la société de consommation et la prospérité indéniable des Trente Glorieuses ni même avec la mondialisation présentée comme la panacée universelle, censée donner à tous les moyens de vivre dignement et « selon ses besoins ».
Bien sûr, dans le cas français, le niveau de vie des ouvriers tout comme leurs conditions de travail d’aujourd’hui (du moins pour ceux qui en ont un…) n’ont plus rien à voir avec ceux du début du XXe siècle, et c’est tant mieux. Mais la question sociale ne s’est évidemment pas éteinte pour autant, et la globalisation (mot plus exact et explicite que celui de « mondialisation »), en rebattant les cartes de l’économie et des puissances, a entraîné, au sein même de notre société, des remises en cause douloureuses et des interrogations sur la nature des rapports sociaux, sur leur territorialisation ou sur leurs formes. Globalisation rime aujourd’hui, pour les travailleurs français, avec délocalisations tandis que l’Union européenne évoque, elle, le terme de libéralisation en insistant sur son caractère de nécessité absolue, sans prendre en compte les exigences de la justice sociale et du bien-être moral des populations laborieuses des pays d’Europe, mais en appliquant des règles peu compatibles avec l’intérêt des industries fabriquant localement en France pour vendre aux Français, par exemple : la récente mise en garde de la Commission européenne contre le « protectionnisme » de M. Montebourg, et surtout les arguments mis en avant par celle-ci, le prouvent à l’envi. Doit-on, même, évoquer l’actuelle crise de la zone euro (qui traîne depuis déjà cinq ans) dont les victimes expiatoires semblent être aujourd’hui les Grecs, les Irlandais, les Espagnols et les Portugais avant, demain peut-être, les Français ? Les banques, il y a quelques années, ont eu droit à plus de sollicitude de la part de la Commission européenne et des gouvernements…
Ainsi, avec la crise et la sempiternelle épée de Damoclès du financement des retraites, mais aussi avec la question d’une dette publique devenue incontrôlable en France, la question sociale revient au cœur des problématiques françaises, comme le souligne Emmanuel Todd avec un ton peu amène à l’égard des institutions financières et des capitalistes internationaux. Bien sûr, le « nouveau prolétariat » évoqué par l’hebdomadaire Marianne n’est plus celui de 1900, mais, au-delà de ses difficultés présentes, sa nature reste la même ; c’est-à-dire une masse de travailleurs interchangeables sans autre lien avec le Travail que celui que les détenteurs de l’Argent veulent et voudront bien lui allouer, à titre temporaire, pour en tirer des profits substantiels sans être obligés de les redistribuer à ceux qui en sont les producteurs « de base », mais plutôt et seulement aux actionnaires ou aux cadres dirigeants, les uns se confondant parfois avec les autres : c’est d’ailleurs là un des éléments forts du « scandale social » qui voit d’immenses fortunes se bâtir sur de simples jeux boursiers (mais aussi sur quelques coups de pied heureux…) et non plus sur la qualité du travail effectué en tant que telle.
Le « nouveau prolétariat » comme l’ancien se caractérise par la « dépossession » : aujourd’hui, les ouvriers ou les artisans sont condamnés par une logique comptable qui fait qu’il est plus simple de fabriquer à grande échelle et à moindre coût dans des pays lointains où les règles sociales et environnementales sont peu contraignantes voire inexistantes, que dans notre pays attaché à une certaine qualité du travail et à la préservation des travailleurs. Ainsi, de nombreux métiers et savoir-faire disparaissent-ils, dans l’indifférence générale, puisque le consommateur ne regarde le plus souvent que le prix de l’étiquette sans penser au deuxième coût, beaucoup plus élevé, le coût social : ne pas acheter français quand on en a l’occasion sous le prétexte, fort compréhensible d’ailleurs, que le « même » produit fabriqué en Chine est moins cher, est, à plus ou moins long terme, suicidaire, comme le signalent certains économistes et l’ont rappelé, durant la dernière campagne présidentielle, des candidats aussi différents que M. Bayrou et M. Mélenchon (malheureusement pour des raisons souvent plus politiciennes que véritablement sociales)… Car, à trop dépendre des productions étrangères, que pourra-t-on vendre demain à des sociétés à qui nous aurions abandonné toutes nos technologies, nos méthodes de travail et pour qui nous aurions sacrifié nos propres outils de production ? Le cas récent d’Airbus est, à ce sujet, tristement éclairant : désormais des dizaines d’avions seront construits à l’étranger, en Asie, tandis que la Chine, à qui la société EADS a « transféré » les technologies de ses appareils, se targue de bientôt vendre à la France et à l’Europe des… Airbus, chinois bien sûr, y compris sous un autre nom…
Devant cette nouvelle donne qui voit le capitalisme libéral sacrifier les travailleurs de France sur l’autel de la rentabilité, gémir ne sert à rien : il faut désormais « repenser la question sociale », sans vaine illusion ni désespérance, et chercher des pistes alternatives à ce jeu malsain qui se moque des frontières comme des personnes, des familles ou des traditions. Les royalistes, fidèles à la méthode maurrassienne de l’empirisme organisateur et conscients des enjeux, ne feront pas « la politique du pire qui est la pire des politiques » comme l’affirmait avec raison Charles Maurras. Ils ne doivent pas chercher à créer des utopies mais à imaginer, à inventer de nouveaux modèles économiques et sociaux, sans perdre de vue qu’il s’agit, malgré la difficulté, de remettre « l’économie au service des hommes » et non l’inverse.
Il leur revient de rappeler que la nation est la première protection sociale, que c’est le plus vaste des cercles communautaires à mesure humaine et historique et qu’il offre des solidarités fortes en son sein, en son espace souverain, au-delà des différences professionnelles ou culturelles.
Aussi, la question sociale est une question éminemment politique, et, là encore, le « Politique d’abord » doit être compris comme la nécessité d’utiliser ce moyen pour limiter les excès de la globalisation ; susciter une véritable impulsion de l’Etat pour les grandes réformes sociales (et pas seulement en vue d’équilibrer les comptes publics) qui sont urgentes et son arbitrage pour les conflits de « légitimité sociale » entre les divers « décideurs » et les « acteurs du travail », et cela sans tomber dans l’étatisme ou le dirigisme ; permettre et accompagner un véritable aménagement du territoire qui ouvre la voie à une relocalisation de nombreuses activités et à une prise en compte véritable du « souci environnemental » ; etc.
Aujourd’hui, traiter la question sociale signifie « ne plus laisser faire la seule loi du Marché » (dont on voit les ravages dans la crise grecque, toujours pas réglée, dans cette crise qui, désormais, touche de plus en plus de pays de l’Union européenne malgré les propos rassurants de la Commission) mais redonner au Politique des moyens de pression sur l’Economique : si l’on veut inscrire cette démarche dans la durée et l’indépendance, l’Etat doit lui-même disposer de la durée et de l’indépendance, et être respecté à l’intérieur comme à l’extérieur. Au regard de l’Histoire comme de la réflexion et de la pratique politiques, il n’en est qu’un qui, en refusant de sacrifier les hommes à une logique totalitaire ou marchande, soit possible et souhaitable : la Monarchie à transmission héréditaire, politique et sociale à la fois. Une Monarchie sociale et active, « à la française », décisionniste et volontariste, au-delà des préjugés ou des timidités. Voilà, en fait, la meilleure réponse à une « économie sauvage » dont les seules valeurs sont financières : pour retrouver, demain, le sens de la mesure et de la justice sociale que la République des Hollande, Proglio et autres Tapie foule aux pieds…