La démocratie représentative n’est pas la seule forme de démocratie possible, comme l’ont jadis prouvé les inventeurs athéniens du mot qui, dès les origines de ce mode d’expression et de décision politique, ont produit les critiques les plus vives, les plus circonstanciées comme les plus injustes parfois, de ce système. A Athènes, c’était une forme de démocratie directe qui prévalait, les décisions prises par le démos à l’Ecclésia s’imposant à tous les citoyens, pour le meilleur comme pour le pire : s’il avait eu ses grandes et belles heures, ce système avait aussi mené à la perte de la cité par des votes inconsidérés et cette « arrogance démocratique » que l’on retrouve parfois aussi dans nos propres sociétés et dans une histoire pas si lointaine que cela. Mais cette participation directe des citoyens à la prise de décisions avait au moins le mérite de donner aux Athéniens eux-mêmes la responsabilité de leurs actes, et elle ne me semble pas totalement illégitime même si j’en connais et reconnais les risques et les conséquences dans l’histoire, et s’il me semble qu’elle doit être « arbitrée » par un Etat souverain et légitime. D’ailleurs, cette forme de participation directe des citoyens à la prise de décision (et pas seulement politique) me semblerait fort judicieuse et encore plus légitime si elle s’appliquait à l’échelon des quartiers, des communes ou des provinces (terme que je préfère à celui de région, malgré ses racines latines peu glorieuses, puisque les Romains rappelaient ainsi aux provinciaux que ces derniers descendaient des vaincus…), sur des questions d’aménagement du territoire ou d’urbanisme, de gestion locale ou de financement des politiques de proximité, etc.
Mais il semble que nos démocraties d’aujourd’hui, représentatives et oligarchiques, n’aiment guère cette démocratie directe, voyant dans le référendum une atteinte à leur pouvoir et, même, à leur légitimité : en France, le dernier référendum, celui de 2005, a laissé sur la joue des classes politiques et médiatiques dominantes une marque encore brûlante que, honteux, les perdants d’alors qualifient de « populiste ». L’Union Européenne elle-même n’aime pas plus cet appel au peuple que, déjà, Robespierre dénonçait comme une sorte de procédé contre-révolutionnaire, à l’époque pour sauver le roi condamné par la Convention. Sans doute est-ce cette défiance qui a permis de passer sous silence le référendum qui vient d’avoir lieu au royaume du Danemark la semaine dernière, et qui, pourtant, revêt une certaine importance pour qui croit dans les libertés et leur mise en pratique…
En effet, les Danois devaient décider s’ils souhaitaient que leur pays soit associé plus étroitement aux politiques de sécurité et de justice de l’Union Européenne, et les grands partis de droite et de gauche, dits modérés, libéraux ou sociaux-démocrates, avaient appelé à voter Oui, quand les partis dits populistes ou marginaux militaient pour le Non. En fait, ce référendum, s’il y avait été répondu Oui, pouvait mettre fin aux dérogations dont bénéficient le royaume du Danemark depuis son entrée dans l’Union (alors simple Communauté économique), confirmées dans les années 1990, et les électeurs danois, dans leur majorité, y ont vu un risque d’intégration trop poussée dans un ensemble dont ils continuent de se méfier. Ainsi, 53 % des électeurs danois (avec une participation de 70 % des électeurs inscrits) ont rejeté le projet gouvernemental et européen, préférant garder au pays ses prérogatives régaliennes plutôt que de lâcher la proie pour l’ombre, surtout en cette période de renoncement européen à la maîtrise de son destin, renoncement démenti par les institutions et les gouvernements de l’UE mais bien visible aux yeux des habitants européens et, parfois, mal vécus par ceux-ci.
Ce qui est tout de même incroyable, c’est que ce référendum, pourtant intéressant pour savoir ce que pense concrètement l’opinion publique majoritaire d’une nation d’Europe et utile pour les débats qu’il a engendrés dans ce pays scandinave sur l’Union Européenne et son rôle mais aussi ses limites, n’a eu aucun écho en France, si ce n’est quelques rares dépêches, et aucune analyse sérieuse n’est apparue dans les colonnes de la grande presse ! Pourtant, ce royaume de 5,7 millions d’habitants est un membre à part entière de l’Union et le débat initié et réglé par un vote portait sur des questions importantes pour les citoyens et les libertés en Europe.
En fait, nos démocraties représentatives n’aiment pas vraiment cette « concurrence du peuple » envers les représentants, parlementaires et gouvernements, qui sont les grands gagnants et véritables maîtres de nos pays par le biais de leurs chambres (qu’elles se nomment assemblée nationale, sénat ou diète) et de leurs bureaux ministériels et administratifs : c’est lors des référendums que la dichotomie « pays réel-pays légal », popularisée par Maurras au XXe siècle, apparaît parfois la plus nette.
Cette peur du référendum qui traverse nos démocraties représentatives, et en particulier la République française (qui semble ne s’être jamais remise de l’affront gaullien aux partis et politiciens par ce court-circuitage référendaire des jeux parlementaires), n’est pas mienne, et je continue à penser qu’il peut être un bon moyen d’associer (et je parle là du niveau national et plus seulement du niveau local) les citoyens au gouvernement de la Cité. Ce n’est pas pour autant une fin mais bien un moyen, et j’insiste sur ce point. Que la Monarchie danoise soit moins frileuse à l’égard du recours à la démocratie directe (déjà 8 référendums depuis 1972, principalement sur l’Europe) que notre République en dit long sur les blocages de cette dernière…
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.