Le projet de loi El Khomry ? Ce sont les libéraux qui en parlent le mieux et qui ont le moins de scrupules à la défendre... Il suffit de lire quotidiennement l'Opinion, journal explicitement libéral (il le revendique en sous-titre, avec une franchise qui, d'ailleurs, l'honore), pour le constater mais aussi d'écouter les dirigeants de la droite républicaine qui, comme NKM ou Le Maire, s'engagent à le voter « tel quel », se livrant à de véritables dithyrambes dans des tribunes enflammées parfois cosignées par d'autres noms représentatifs de la droite parlementaire et officielle et publiées, au moins celle du député de l'Essonne Mme Kosciusko-Morizet, dans les colonnes de... l'Opinion ! Cela étant, les laudateurs libéraux de cette loi (qui n'en est pas encore une, en fait) sont logiques avec ce qu'ils ont toujours défendu même s'ils ne l'ont pas toujours appliqué quand eux-mêmes étaient aux affaires, preuve d'une certaine prudence ou d'un plus grand « réalisme » (électoral, peut-être...), ou simplement d'une réticence à aller jusqu'au bout d'un processus si peu « français » car trop « anglo-saxon »...
En fait, nous ne sommes plus en 1791, et le libéralisme, dont les premières victimes furent les classes travailleuses, de l'ouvrier à l'artisan, de l'apprenti au petit entrepreneur sans fonds, n'a plus l'aura de la nouveauté ou l'effet de surprise qu'il a pu avoir durant la Révolution française qualifiée par les traditionalistes comme par les socialistes (ceux du XIXe siècle et du début XXe, de Proudhon à Marx, de Sorel à London) de « bourgeoise », sans d'ailleurs beaucoup de discernement, parfois, sur la définition de ce terme polysémique. Les Français savent désormais, presque d'instinct, ce que recouvre ce libéralisme dont on veut leur refourguer, à nouveau, la formule : sans toujours connaître exactement les « détails », les classes populaires se souviennent vaguement que le XIXe siècle, qualifié de « stupide » par Léon Daudet, fut celui de l'exploitation maximale des ouvriers et la ruine des artisans et de leurs « métiers », au nom d'un « Progrès » qui n'était, en somme, que le cache-sexe de l'esprit de profit sans mesure et sans partage, et qui, comme le souligna mille fois Georges Bernanos, aboutit aux massacres de masse de la guerre industrielle, ceux de 1914-18, de 1939-45 ou encore (Bernanos ne les connut pas, ceux-là) du Vietnam dans les années 1960-1970.
En fait, à travers la contestation de la loi Valls-El Khomry, c'est bien le libéralisme qui « ne passe pas » dans l'opinion publique, opposée à 70 % à la réforme du Code de travail qui, pourtant, en mériterait bien une, mais pas celle que leur promet le gouvernement... C'est l'Opinion, sous la plume de Nicolas Beytout, qui, dans son édition des 26-27 février 2016, insistait sur le côté libéral du projet de loi : « S'il est un point sur lequel le monde politique s'accorde, à gauche comme à droite, c'est bien celui-là : le projet de loi El Khomry est d'inspiration libérale ». Ainsi ressenti, ce projet ne peut que cristalliser les oppositions les plus diverses au libéralisme, et sans doute comme cela n'est pas arrivé depuis longtemps, et les clivages habituels du pays légal (politicien) sont plutôt bousculés, y compris (et surtout) par le pays réel, comme ils le sont à chaque fois que l'on sort des simples débats et enjeux électoraux qui les cachent trop souvent : « Une fois encore, la politique française se trouve traversée par une ligne de fracture qui n'a plus grand-chose à voir avec le bon vieux schéma gauche-droite. On avait connu ce phénomène lors du référendum européen, en 2005, et dans une moindre mesure à l'occasion des grands débats de société liés à la famille et à l'humain. Cette fois, c'est autour du libéralisme que se cristallise le clivage. Longtemps considéré comme une lubie ultra et comme la réplique déshumanisée d'un modèle anglo-saxon honni, voici le libéralisme en passe d'être l'axe autour duquel se repositionnent toutes les chapelles politiques. Fermées et adeptes de la protection d'un côté, ouvertes et tolérantes au risque de l'autre. Peut-être le début d'une nouvelle cartographie. »
Ce qui est intéressant dans ce texte du libéral Nicolas Beytout, c'est qu'il oppose, à la fin, la protection au risque, et qu'il semble voir dans les partisans de l'une les ennemis irréductibles de l'autre : cela en dit long sur ce que signifie, pour lui, le libéralisme et comment il voit le monde des hommes comme des idées...
Les choses ne sont pas aussi simples ni simplistes, heureusement ! Mais c'est sans doute l'une des particularités fortes du royalisme en France, c'est de refuser ce faux dilemme et de conjuguer à la fois la nécessité, parfois, de prendre des risques et de tenter l'aventure (et les Capétiens comme les royalistes eux-mêmes ne s'en sont pas privés !), d'assumer la liberté de l'esprit comme celle de l'initiative, et la volonté d'avoir un État qui assume ses devoirs politiques et sociaux d’État, et qui assure à chacun, dans ses différences, ses qualités comme ses défauts, la protection qui lui permet d'exercer ses libertés : sans État libre, pas de libertés de tous, et pas de nation libre, cadre de celles-ci !
Maurras, parfois peu facile à suivre dans certaines de ses démonstrations, a au moins eu le mérite de rappeler que, pour avoir des citoyens, encore faut-il qu'il y ait une Cité, quand le libéral ne jure que par l'Individu et qu'il néglige celle-ci, au point de déclarer que « la société, cela n'existe pas » (1) comme le faisait, de façon plus provocatrice que réfléchie, Margaret Thatcher... A quoi le royaliste Henri Massis avait déjà répondu dès la première moitié du XXe siècle : « l'homme est société »... En oubliant cette dimension de l'aventure humaine au monde (que l'on peut certes refuser lorsqu'on en a, d'abord, bien profité depuis la naissance, et c'est d'ailleurs ce refus qui fonde l'égoïsme, pilier de la dissociété libérale), les libéraux s'exposent à la colère « des plus faibles » qui refusent un darwinisme économique et social dont ils se savent être les premières victimes... Et, justement, c'est aussi la crainte d'une précarisation générale des producteurs et travailleurs (ou de ceux qui sont en recherche d'emploi), qu'ils soient jeunes ou non, salariés ou pas, qui nourrit la contestation, pour l'heure encore largement virtuelle, contre un projet trop libéral pour être honnête...
Décidément, le libéralisme à l'anglo-saxonne, en France, cela ne peut pas, ne doit pas passer...
note : (1) : « There is no such thing as society », Margaret Thatcher, septembre 1987, dans le magazine Woman's Own.
(à suivre : pourquoi le 9 mars peut être une heureuse occasion politique ; le « Que faire » des royalistes en ce mois de mars 2016 ; les propositions royalistes pour le monde du travail ; le « tiers-pouvoir lycéen et étudiant » ; etc.)
"Décidément, le libéralisme à l'anglo-saxonne, en France, cela ne peut pas, ne doit pas passer..."
Sans même parler du fait que la la loi El Khomri est bien timidement libérale, c'est oublier le fait que ce libéralisme dit "anglo-saxon" avait des origines françaises et aristocratiques: l'histoire du libéralisme en France ne commence pas en 1791. Du marquis d'Argenson aux Physiocrates et à Turgot, la France libérale était bien représentée au XVIIIe. On peut même se dire que si Turgot, "trop en avance" comme l'écrivait Catoneo en 2005 (http://royalartillerie.blogspot.fr/2005/10/turgot-trop-en-avance.html) si Turgot donc n'avait pas été renvoyé, le sort de la monarchie eût été autre... Après tout les monarchies qui ont survécu (comme la britannique) doivent sans doute une bonne part de leur survie à l'acceptation du libéralisme, politique et économique. A contrario, le refus du libéralisme par l'aristocratie et le tsar en Russie après Alexandre II livrait fatalement le pouvoir à Lénine (les libéraux, dont certains étaient favorables à une monarchie constitutionnelle se trouvèrent coincés entre les "ultras" à la russe et les révolutionnaires, ils n'eurent bientôt plus aucun espace politique).
Donc oui, "Les choses ne sont pas aussi simples ni simplistes, heureusement !"
Rédigé par : JM | 02 avril 2016 à 22:26