Dans une indifférence populaire assez tragique, se tient le troisième sommet de l’ONU sur les océans qui doit évoquer les mesures à prendre pour protéger les mers et les fonds de celles-ci d’une dégradation malheureusement fortement avancée et accélérée ces dernières années en conséquence du déploiement de la société de consommation et de croissance dans le monde, en particulier dans les pays du Sud global, ceux-là mêmes qui veulent accéder au paradis consommatoire sans beaucoup de précautions sur les moyens d’y parvenir. C’est un triste constat : les mers se vident, et « nous regardons ailleurs », pour paraphraser l’ancien président Chirac… Sur les étals du poissonnier, il n’y a jamais eu autant de poissons, dirait-on : pourtant, la part de poisson sauvage, elle, ne cesse de diminuer au fil des ans pour être remplacée par celle des poissons d’élevage. Sans doute parce que les prises de nos pêcheurs français, par exemple, si elles ne sont pas forcément mauvaises, pèsent de moins en moins dans la balance, le nombre de professionnels et de petits chalutiers ne cessant de diminuer. J’ai le souvenir que, dans ma jeunesse des années 1960, le port de Lancieux (en Côtes d’Armor) comptait une demi-douzaine de ces petits navires qui partaient pour la journée et revenaient les flancs chargés de produits de la mer, comme disent aujourd’hui les marchands et les économistes. J’ai aussi le souvenir que le petit pêcheur à pied que j’étais se glorifiait de ramener pour le dîner nombre de bigorneaux et de bouquets, quand, désormais, les rochers du littoral sont fort dépeuplés de leur petite faune comestible. La désertification des côtes n’est pas moindre que celle des fonds marins, même si elle est plus directement perceptible pour les anciens qui se lamentent devant le spectacle des trous d’eau et des dessous d’algues vides de toute présence animale.
Et pourtant, ce ne sont pas les alertes et les conseils pour préserver les ressources marines qui manquent, de la plage sur laquelle des panneaux bien illustrés expliquent la taille minimale des prises et les attentions nécessaires pour éviter de dévaster la biodiversité locale, aux magazines audiovisuels qui insistent, à raison, sur ces gestes simples qui peuvent permettre à la petite faune marine et littorale de se reproduire et de prospérer à nouveau. C’est évidemment utile, mais est-ce suffisant ? Malheureusement, j’en doute…
Ce qui est vrai pour les rochers de mon village côtier et les sables de mes fonds de baie, l’est aussi pour toutes les mers, aussi loin que le regard et la présence humaine puissent porter : là où il faudrait de la mesure et de la raison, c’est l’hubris consommatoire qui l’emporte, et qui emporte tout sur son passage, au détriment de la nature et de ses ressources, de ses richesses que l’homme veut s’attribuer dès maintenant et sans entraves. Que faudrait-il faire, concrètement, pour limiter cette dévastation ? Au-delà de la prise de conscience universelle (qui semble peu probable, malheureusement), quelques mesures simples (sans être simplistes) peuvent être avancées et appliquées : au niveau local, le gel annuel ou bisannuel d’une partie du littoral (jusqu’à une part, aussi, de ce que découvrent les grandes marées) pour laisser la petite faune se reproduire et prospérer (1) ; au niveau régional ou national, la mise en place d’une véritable politique de la Pêche qui concilie préservation des ressources halieutiques et intérêt bien compris des pêcheurs eux-mêmes (trop souvent oubliés par les oukases de quelques administrations peu conciliantes avec ceux qui vivent des produits de la mer) pour permettre à ces derniers de poursuivre dans de bonnes conditions leur métier et de pouvoir en vivre dignement (2) ; au niveau national et étatique, une politique de protection et de valorisation des Zones économiques exclusives de la France (y compris dans les zones polaires), que le gouvernement actuel semble vouloir promouvoir (insuffisamment, néanmoins), par exemple en interdisant le chalutage de fond ou le mouillage de plaisance dans certaines « aires marines protégées », celles qui, selon Mme Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, comptent les fonds marins « les plus sensibles et les plus riches en biodiversité »… Mais cette politique n’est possible que si la France engage une véritable stratégie de réarmement maritime (au double sens du terme, d’ailleurs…) et qu’elle se dote d’un grand Ministère de la Mer, autrement plus important que les « petits » ministères des dernières années et décennies, aussi peu crédibles qu’inefficaces… La grande question de la souveraineté maritime française mérite mieux que quelques communiqués gouvernementaux ! C’est aussi vrai pour la question environnementale, et c’est même complémentaire et obligatoire pour qui souhaite que la France reprenne sa place dans le concert des puissances susceptibles d’assurer la protection des océans sans rien céder à la voracité des multinationales alimentaires, ces nouvelles féodalités plus économiques qu’écologistes…
Notes : (1) : Chaque commune littorale pourrait, avec l’aide des scientifiques, des naturalistes et des pêcheurs locaux (principalement amateurs là où il n’y a plus de professionnels), déterminer cette zone à geler (c’est-à-dire à interdire, non d’accès, mais de prélèvement de poissons, de crustacés et de coquillages sur une période donnée, plus ou moins longue selon l’état initial de la ressource concernée), et faire respecter cette interdiction temporaire de pêche en l’accompagnant, autant que faire se peut, d’activités pédagogiques de découverte et d’observation pour les habitants locaux et les estivants de passage.
(2) : Il n’est pas impossible d’imaginer une gestion par une forme (locale, régionale ou même nationale ? Ne fermons aucune piste de travail…) de Corporation des pêcheurs (ou des travailleurs de la Mer) qui aurait, statutairement et avec l’aval des autorités concernées, la mission d’assurer la bonne tenue des stocks des ressources comestibles marines ; fixerait les conditions et des quotas de pêche ; financerait, sur son propre patrimoine corporatif, les activités et une part des revenus minimaux des pêcheurs empêchés de prélever en période de disette halieutique ou de reconstitution du cheptel marin.