La dissolution de juin 2024 a été catastrophique : que le pays légal se retrouve confronté à ses contradictions n’est pas ce qui peut nous gêner, mais bien plutôt le « désarroi » économique qu’elle a entraîné et ses effets délétères sur l’économie française qui n’avait vraiment pas besoin de cela… Dans le même temps, sur une scène internationale en perpétuel mouvement, assiste-t-on à la fin de la mondialisation ?
(La suite de mon intervention du 22 février à Aix-en-Provence, voir précédente note)
Alors, il y aurait un état des lieux à faire de la société française aujourd’hui et de la question sociale. Il y a un grand désordre depuis juin 2024. Quand je dis un grand désordre, ça ne veut pas dire que c’était l’ordre avant ; je dirais même que c’était plutôt le désordre établi comme l’avait dit Emmanuel Mounier dès les années 1930. Mais il y a un grand désordre, il y a une grande inquiétude, une grande incertitude et les industriels, les financiers n’aiment pas cela. On voit que tous les efforts qui avaient été faits (par exemple) par la Banque Publique d'Investissement, par un certain nombre d’acteurs locaux, d’entreprises, de municipalités pour réindustrialiser le pays, et qui avait commencé à porter quelques fruits, ont été réduits (presque) à néant. C’est-à-dire que la désindustrialisation avait connu un certain plateau depuis quelques années, et qu’à défaut d’être arrêtée, elle était au moins ralentie, et que l’espoir industriel, espérait-on, pouvait renaître. Tout cela a été ruiné par la « foucade », la folie, d’un chef de l’État qui a perdu le sens de l’État et qui a perdu d’ailleurs, sa « chefferie » ou son commandement suprême à cette occasion et, pour le moins, son crédit et son autorité. Il y a une instabilité économique, il y a une instabilité sociale qui ont donné un véritable coup de frein aux investissements. Et puis il y a une ambiance géopolitique actuelle qui n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, excellente. Il y a la guerre en Ukraine, les affrontements au Moyen-Orient, il y a l’arrivée au pouvoir aux Etats-Unis d’un chef d’État disruptif, Donald Trump.
Evidemment, cela bouscule le jeu de manière considérable. Nous parlions de mondialisation jadis et c’est ce que j’évoquais à mes élèves : une mondialisation globalisante, qui essaie de rester globalisante mais qui ne paraît plus y arriver aujourd’hui. Un détail qui pourrait ne pas être anodin : il y a quelque chose qui m’a marqué dans les différentes études que j’ai faites ces derniers temps pour mes lycéens, c’est que le mot de gouvernance (qui était parfois utilisé de manière inconsidérée) est en train de disparaître du vocabulaire politique ou économique. J’ai dit « en train » de disparaître, il n’a pas disparu. On pensait depuis longtemps que la mondialisation était globale et que ce mouvement était et serait sans fin : c’était le nouveau mythe de la fin de l’Histoire, on allait, comme l’avait annoncé les marxistes, vers un monde sans classe ni État. Il n’y aurait plus que des consommateurs et les États disparaîtraient dans une espèce de globe, le fameux One world comme disait George Orwell. C’est ce qu’a signalé Antoine de Crémiers avec beaucoup de justesse, c’est la fin du mondialisme et même d’une mondialisation globale dans le sens où aujourd’hui on aurait plutôt une bi-mondialisation, Occident face au reste du monde. Il y a cette révolte d’un certain nombre de pays qu’on appelle BRICS ou « Sud global » (même si c’est une notion dont je me méfie un petit peu), contre la dollarisation, contre la puissance, la suprématie de ce qu’appelait jadis Hubert Védrine l’hyperpuissance (les Etats-Unis) qui est plutôt aux abois.
La France est au milieu de tout cela. Elle est au milieu de la mondialisation et elle subit les conséquences de celle-ci, car si la mondialisation, comme je vous l’ai dit, est sans doute en train d’évoluer, la mondialisation est un fait. Elle a longtemps été un fait dominant, approuvé, aimé même : il y avait une sorte de mondialisation heureuse dans l’esprit des gens et aujourd’hui on voit qu’en définitive, si la mondialisation reste un fait, avec beaucoup de nuances et de bouleversements dans les temps prochains, elle n’est pas pour autant un bienfait. La mondialisation n’a d’ailleurs jamais été un bienfait. Alors, maintenant, les délocalisations reprennent et ce n’est jamais que la reprise d’un mouvement qui avait existé auparavant. Il y a eu une tentative de sursaut, mais elle semble désormais dépassée ou vaine.
(à suivre)