Décidément, cette campagne présidentielle n’a rien d’une campagne électorale et, à écouter les discussions dans les cafés et restaurants, le président « absolu » (selon l’expression entendue l’autre jour au comptoir d’un bistrot dinannais) n’aura pas besoin d’endosser vraiment le costume de candidat pour être reconduit sur le trône élyséen. Bien sûr, le sondage ou le bavardage ne fait pas le suffrage, et l’histoire des démocraties contemporaines nous enseigne la nécessaire prudence à cet égard. Mais, pour l’heure et sous réserve des heures suivantes, rien ne semble devoir gêner la réélection de M. Emmanuel Macron dont le quinquennat en cours de s’achever n’aura pas été avare de crises, de surprises et de rebondissements, dans une folle farandole de morgue des hautes classes à l’égard des classes populaires et laborieuses, de mépris des surdiplômés à l’égard des travailleurs manuels et des « fumeurs de clopes », et de colères jaunes sans débouchés politiques (malheureusement, pourrait-on rajouter…). Sans doute la présidence Macron a-t-elle été une sorte de temps de convergence des colères et des ressentiments trop longtemps contenus dans le cadre du « pays légal », syndical ou politique, qui, jusque-là, avait réussi à encadrer les protestations sociales et, en définitive, à les stériliser (du moins, la plupart du temps…). Il est peut-être injuste, au regard de l’histoire, que ce soit M. Macron qui ait subi tout ce que ses prédécesseurs auraient sans doute mérité de subir, justement. Mais c’est ainsi ! Durant plus de quarante ans, les avertissements n’ont pas manqué, entre la montée des votes dits protestataires ; celle, simultanée, de l’abstention toujours plus marquée ; la dégradation des relations sociales et ces poussées de fièvre de plus en plus violentes et, parfois, inattendues ; les nombreux suicides d’agriculteurs et de toutes ces victimes de la mondialisation… Combien de livres pour alerter ? Christophe Guilluy, Emanuel Todd, Marcel Gauchet, Florence Aubenas, etc. remplissent les bibliothèques de leurs études érudites, de leurs témoignages et de leurs avertissements sans que rien, ou presque, ne change de ce qui était présenté comme le cours irrésistible de la mondialisation, et la réponse des élites était toujours la même : « il faut s’adapter »… C’est même, à tout simplement lire les manuels de géographie de Première, le message officiel, accolé à l’évocation (laudative, le plus souvent) de la mondialisation et de la métropolisation !
Puisque la réélection de M. Macron semble faite, quelles que soient les qualités des candidats et des programmes opposés à la politique de M. Macron (mais le plus important ne serait-il pas de proposer une alternative plutôt qu’une simple alternance ?), le mieux ne serait-il pas, sans forcément occulter le calendrier électoral (les législatives suivant la présidentielle, quelques semaines après), de préparer « la suite » ? Tout d’abord, même en période électorale, il est bon de s’intéresser aux questions « intemporelles » (qu’elles portent sur le plan environnemental, social ou politique) qui, elles, ne suivent pas le même calendrier démocratique, et de ne pas négliger les débats et les combats en cours qui, eux, ne s’arrêtent pas au dimanche de l’élection. Ainsi, non loin du Cap Fréhel, la construction d’un champ d’une soixantaine d’éoliennes marines se poursuit, malgré les craintes et les oppositions des habitants du littoral, et rien ne semble devoir l’arrêter, à moins d’une catastrophe naturelle ou d’un drame humain (et je ne souhaite ni l’un ni l’autre) ou, ce qui me siérait beaucoup mieux, d’une mobilisation telle que celle, jadis, contre l’implantation d’une centrale nucléaire à Plogoff et d’un rapport de force qui deviendrait défavorable aux constructeurs ou au gouvernement qui les soutient par démagogie et intérêts plus que par raison et mesure. C’est maintenant qu’il faudrait monter cette « chouannerie-sur-mer », au moment où le locataire de Madame de Pompadour annonce, il y a quelques semaines, la possible construction d’une cinquantaine de champs d’éoliennes marines sur les côtes françaises ! Idem pour de nombreux chantiers qui aggravent l’artificialisation des terres sans respect pour l’environnement dont les paysages, en tant que tels, font partie.
La réélection de M. Macron entraînera, logiquement, la mise en place d’une réforme des retraites qui, il faut le dire, ne sera pas juste parce qu’elle se fera selon une logique « d’abord » comptable, quand il faudrait la penser selon une logique foncièrement équitable : le recul programmé de l’âge d’accès à la retraite, à 64 ans dans un premier temps (l’objectif étant, si l’on suit les recommandations de la Commission européenne, l’âge de 67 ans), risque d’ailleurs de heurter une population de travailleurs qui, aujourd’hui, ne se sent pas forcément bien au travail, ce qui est tout de même problématique. Quand le fait de travailler n’est plus qu’un ennui, le risque d’une moindre qualité de l’ouvrage existe (ainsi que le risque d’accidents, d’ailleurs), voire domine : oublier cette donnée simple est peut-être bien la cause de cette impression désagréable qui démotive ceux qui ne sont pas encore sur le marché de l’emploi et qui, parfois, se contentent de vivre de l’assistanat, autre nom de la « paresse subventionnée » et parasite de la véritable aide et assistance sociale, nécessaire à l’équilibre des sociétés constituées…
D’autres sujets de discorde et de colère pourraient bien s’inscrire au calendrier du prochain quinquennat : par exemple, les prix des énergies dont notre société, devenue « de consommation » (au risque de défaire la convivialité sociale nécessaire), est beaucoup trop dépendante, vont augmenter, sans doute durablement, et fragiliser les classes moyennes déjà renvoyées dans les périphéries des métropoles (le cœur de celles-ci leur étant devenu, du fait du prix du mètre carré, inaccessible ou, plutôt, inhabitable). Mais après le soulèvement des Gilets jaunes (soulèvement vain, en définitive, malgré les espérances qu’il a pu faire naître) qui a fait long feu, c’est désormais une forme de résignation qui paraît dominer malgré les quelques ronds-points encore (ou à nouveau) occupés. « Soumission » ou simple « Dormition » ? L’avenir nous le dira, sans doute assez rapidement.
Je crains que les prochaines années ne soient des années rudes, autant sur le plan économique que social : s’y attendre ne signifie pas s’y résigner, mais bien plutôt s’y préparer. Car, au-delà de l’attention aux colères et aux sentiments, il s’agit de proposer sans promettre ce qu’il serait impossible ou démagogique de tenir. Si la critique est toujours facile, l’art est, lui, beaucoup plus difficile et complexe : le simplisme ne fait pas une politique, il en est même la négation. Plutôt que de tout miser et s’épuiser sur une présidentielle (même si l’agitation des idées peut être utile et parfois bénéfique, au regard de l’opinion publique et de son information comme de son instruction, base de la réflexion et du débat argumenté), il me paraît plus approprié de travailler sur les pistes d’une politique de long terme et sur les institutions susceptibles de les valoriser et de les pratiquer… En ce sens, être royaliste n’est pas un handicap, mais la possibilité de penser nombre de sujets environnementaux, économiques et sociaux, en leur donnant un débouché éminemment politique : non une utopie, mais une espérance et un idéal symbolisés par une fleur, le lys…
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