Le récent voyage du roi Charles III est une chance pour la France, si celle-ci sait saisir l’occasion offerte par un Royaume-Uni au tournant de sa géopolitique et soucieux de rétablir des liens forts avec son voisin d’outre-Manche. Bien sûr, l’Angleterre (au sens historique du terme) reste, pour beaucoup des habitants des littoraux français, comme un adversaire ancien dont il faudrait éternellement se méfier depuis la fin de la Guerre de cent ans. Breton natif, j’ai été élevé dans cette méfiance multiséculaire, même si les épreuves communes du XXe siècle ont permis quelques rapprochements. En fait, c’est la Révolution française qui a ruiné les velléités royales de Louis XVI de faire avec le royaume îlien ce que son grand-père avait, en somme, réussi avec l’Autriche : vainqueur en Amérique et dans l’Atlantique, le roi de France voulait profiter de cette nouvelle position de force pour tendre une main ferme mais amicale à la thalassocratie défaite la veille. La Révolution a fait avorter ce projet capétien et l’Angleterre n’aura guère de scrupules à exploiter les malheurs de la France déchirée pour reprendre la place que Louis XVI lui avait, un court moment, subtilisée.
Ce rendez-vous manqué et la géopolitique purement terrestre ou continentale du général Bonaparte devenu empereur « terrien » ont, a contrario, laissé le champ ou, plutôt, la mer libre à une Angleterre qui dominera ainsi tout un XIXe siècle qui était pourtant promis, avant 1789, à la France… Mais les regrets sont vains, et il faut penser à aujourd’hui pour préparer demain. Dans Le Figaro (1), l’ancien diplomate François-Joseph Schichan valorise l’idée d’une véritable alliance entre les deux pays jadis rivaux, en profitant des nouvelles circonstances liées au retour de la guerre sur le continent européen et des nouvelles convergences d’intérêts entre les deux nations historiques, mais aussi de la personnalité même du nouveau souverain britannique, « Cette visite d’État (…) apportant à la relation franco-britannique un élément de continuité et en lui redonnant son socle symbolique et affectif. Le roi Charles – qui parle couramment le français et s’est rendu régulièrement dans notre pays par le passé – a un attachement sincère pour notre pays. » Un roi anglais, qui survivra au changement de ministère après les élections prochaines au sein du royaume, est, par sa seule présence tranquille et légitime, le gage de l’inscription dans la durée de l’amitié franco-britannique, sentiment qu’il s’agit d’inscrire dans une vision géopolitique de long terme, en espérant que la discontinuité propre à la République présidentielle ne remette pas toujours tout en cause, comme cela est arrivé trop souvent depuis une quinzaine d’années…
« Il faut aller plus loin. La relation avec le Royaume-Uni doit être une priorité pour notre pays. En Europe, le Royaume-Uni est le seul allié qui a du sens pour la France, notamment en matière de défense et de sécurité : la France et le Royaume-Uni sont des jumeaux géostratégiques, puissances moyennes avec des économies et des capacités militaires comparables et une même vocation mondiale. » Sans oublier la proximité des deux grandes métropoles-capitales que sont Londres et Paris, désormais reliées par de fortes voies de communication symbolisées, d’une certaine manière, par le tunnel sous la Manche jadis inauguré par le président Mitterrand et la reine Elisabeth II. L’établissement de liens plus que privilégiés est une possibilité qu’il convient de préciser et de favoriser, dans une logique de « duopole » métropolitain Paris-Londres, dont la formule symbolique pourrait être « 1+1=3 » (2), et qui doit aussi s’inscrire dans une stratégie des deux États pour peser efficacement sur la scène géopolitique européenne autant qu’économique et financière. Le fait que la France soit dans l’Union européenne et que le Royaume-Uni n’y soit plus est, peut-être, une particularité (voire une originalité) qui peut devenir une force, et rappelle aussi et ainsi que la France est capable de s’émanciper de la seule politique de « repli » sur l’Union Européenne, véritable impasse géopolitique et, sans doute, économique (3). Evidemment, cela n’est crédible que si, de part et d’autre et particulièrement du côté de la France, existe une véritable ambition de « faire de la force » et de « ne pas subir, mais agir librement » qui puisse s’enraciner dans la durée, dans cette idée de « l’avenir qui dure longtemps », comme le souhaitait feu le comte de Paris (4)…
(à suivre)
Notes : (1) : Le Figaro sur la toile, à la date du 22 septembre 2023.
(2) : J’emploie à dessein le mot duopole qui s’applique généralement à des entreprises en le transposant dans le domaine urbain : il s’agit de signifier ici une synergie métropolitaine entre deux grandes métropoles pour former, non une simple addition de forces et de chiffres, mais une véritable union (sans être une fusion ou une confusion) qui valorise l’une et l’autre, dans un système d’émulation encadré (mais pas trop, pour éviter de perdre tout ce que pourrait amener une certaine liberté d’initiative et de valorisation). D’où la formule un peu étrange du « 1+1=3 », mais qui a le mérite de différencier l’union véritable de l’addition formelle…
(3) : Je parle ici de la politique de repli frileux de l’Union Européenne sur des positions de vassalité peu glorieuses et sur des idéologies (libérale en économie, « progressiste » dans le domaine sociétal) qui « décivilisent » nos nations historiques, plus encore que de l’Union Européenne elle-même… Ai-je encore des illusions sur cette dernière ? Il s’agit plutôt d’un pragmatisme prudent mais qui n’empêche pas la possibilité d’ouvrir d’autres voies…
(4) : Le comte de Paris (1908-1999), de jure Henri VI, a écrit un livre intitulé « L’avenir dure longtemps », reprenant une formule éminemment capétienne et valorisée avant lui par le fondateur de la Cinquième République…