Le temps passe et les royalistes trépassent, aussi : ces dernières années ont vu la disparition de quelques noms et visages qui m’étaient familiers et, parfois, amis. Si je peux en concevoir de la tristesse, je n’en renonce pas pour autant à ce que furent nos combats, nos intentions, parfois nos illusions. « Sur nos tombeaux, les blés seront plus beaux », affirme un vieux chant des Camelots du Roi, mais encore faut-il les semer, les soigner avant que de les moissonner. Une nouvelle génération de royalistes prospère aujourd’hui qui doit trouver ses propres marques et qu’il s’agit, pour les anciens comme moi, d’aider et de guider parfois, mais sans les brider ou les décourager par certaines de nos prudences, ou de nos craintes : l’empirisme organisateur, valorisé par Maurras, n’est pas la répétition de quelques formules faciles et rassurantes, ni le radotage de quelques expériences lointaines, mais l’étude circonstanciée des conditions réelles des événements survenus et des cycles historiques, économiques comme politiques, étude qui ne doit pas négliger la nécessaire humilité devant le temps et les faits tout comme la non moins utile « tradition critique »… Si l’histoire est « notre maîtresse en politique », comme l’assurait le théoricien de l’Action française, elle ne doit pas nous faire perdre la tête ou nous entraîner sur des chemins de traverse qui pourraient bien se révéler des impasses : vouloir copier l’hier, c’est ne pas saisir l’aujourd’hui ni apercevoir le lendemain ! Il s’agit plutôt de s’inspirer de ce qui a été, d’en tirer des leçons et d’en saisir, pour ce qui est de l’action royaliste, les possibles opportunités en d’autres occasions et en d’autres temps.
La Cinquième République n’est ni la Troisième ni la Quatrième, et la République macronienne, s’inscrivant pourtant dans les mêmes institutions que celle du général de Gaulle et de François Mitterrand, n’est pas, dans sa pratique comme dans sa figuration, celle de ses deux prédécesseurs encore vivants : il paraît nécessaire d’en tenir compte pour être plus efficace dans la critique de la République et de préparer le recours royal, même si celui-ci, éminemment nécessaire, ne semble pas extrêmement proche… Dans ses traditionnels vœux de nouvelle année, Pierre Pujo, inamovible directeur du journal de l’Action française (de 1966 à sa mort, survenue en 2007), annonçait ou plutôt espérait le retour du roi sur le trône pour l’année qui débutait : cela nous faisait sourire, mais quelques verres de mousseux suffisaient à nous convaincre dans la soirée de l’inéluctabilité de cet avènement promis ! Ah, si les choses étaient aussi simples… Mais elles ne sont jamais forcément impossibles, comme Pierre Pujo, en d’autres occasions, a pu le prouver… (1)
Le climat d’incertitude actuel et le fait que le président n’arrive ni à rassurer ni à convaincre nos concitoyens sont autant d’éléments qui, a contrario, rappellent que l’autorité, en fait, ne s’improvise ni ne se décrète, et qu’elle doit trouver un cadre institutionnel qui lui permette, en toutes occasions, d’être et de s’affirmer, même si le Chef de l’État, dans sa personnalité même, n’est pas un homme d’autorité. La Cinquième République a cru trouver la formule la plus crédible en faisant du Chef de l’État le maître du jeu institutionnel et politique, ce qui était fort intelligent et plutôt efficace quand le Parlement, en ses deux chambres, n’était plus ce Sénat romain qui monopolisait toute l’attention et concentrait la réalité du pouvoir législatif en empêchant, selon son bon plaisir, les gouvernements de gouverner vraiment (sauf mémorables exceptions qui, justement, n’étaient que des exceptions…). Mais le quinquennat a affaibli la présidence de la République (tout en la durcissant paradoxalement dans son exercice) et plonge le pays dans une présidentielle permanente, qui fait que le monde politicien ne pense plus qu’à 2027 quand nous vivons juste les premiers jours de l’année 2024, bissextile de surcroît… Quelle autorité peut alors avoir un Chef de l’État dont les partis, les parlementaires et les journalistes, annoncent déjà la sortie ? La brièveté du mandat (que d’aucuns voudraient réduire encore, dans une sorte de rage déconstructiviste fort néfaste car infondatrice…) est un handicap pour la magistrature suprême de l’État et pour l’efficacité même de celui-ci. Elle dessert l’autorité car elle ne voit plus en la présidence qu’une place toujours à prendre même quand elle est déjà prise et occupée.
L’un des grands avantages et intérêts de la Monarchie royale pour laquelle les maurrassiens, bernanosiens et autres fidèles de la dynastie capétienne, militent, c’est justement d’échapper à cette présidentielle permanente, la magistrature suprême de l’État en royauté ne devant rien à l’élection et à ses jeux et manœuvres partisans et tout au hasard de la naissance et à celui de la mort (qui est aussi celui de la vie…), le roi ne sachant généralement pas lui-même quand il sera appelé à régner ni quand il laissera la place (sauf cas d’abdication qui n’est pas, en fait, dans la tradition capétienne) par sa mort. Cela peut lui assurer une indépendance statutaire fort utile quand il s’agit d’incarner l’autorité d’arbitrage (et non d’arbitraire…) et d’imposer certaines décisions qui, au-delà de la popularité ou de l’impopularité, s’avèrent utiles au bien commun de la nation et de ses citoyens. L’autorité royale ne se mesure pas à la popularité du prince (même si, favorable, elle peut être un élément bienvenu) mais à cette indépendance et possible hauteur de vue que lui confère son statut d’externalité (2) au sein des institutions et de l’appareil d’État qu’il surplombe tout en l’incarnant aux yeux des citoyens comme des nations étrangères. Un autre élément d’autorité qui s’affirme par la forme royale des institutions est l’enracinement historique du monarque qui, en France, poursuit l’œuvre entamée il y a plus d’un millénaire et assume toute l’histoire de France, qu’elle soit royale, impériale ou républicaine : le roi de France est le roi de toute l’histoire de France, sans exclusive.
Devant la crise d’autorité que traverse la République et qu’elle ne sait comment surmonter malgré les déclarations médiatiques de l’actuel locataire de Mme de Pompadour, les quelques vérités politiques évoquées plus haut méritent d’être connues, diffusées, voire discutées. Si l’on veut éviter l’autoritarisme d’un aventurier de passage (qu’il soit de droite, de gauche ou d’ailleurs) comme il en émerge tant dans le monde aujourd’hui, c’est l’autorité royale à la française qu’il faut établir à nouveau, non dans un mouvement de nostalgie (3), mais dans une action proprement politique et soucieuse de pérennité et de crédibilité face aux enjeux d’un monde contemporain (re)devenu dangereux… Un programme militant royaliste pour renouer avec le grand projet royal inauguré il y a plus de mille ans déjà, quelque part dans un recoin de France…
Notes : (1) : En voici un exemple qui, je l’avoue, m’a beaucoup marqué. A l’automne 2004, à l’annonce chiraquienne d’un référendum sur le projet de Constitution européenne (rédigé sous l’égide de Valéry Giscard d’Estaing, disait-on alors), Pierre Pujo affiche en gros titre de L’Action française « Le non peut gagner ! ». Un titre qui pouvait faire sourire, les premiers sondages accordant moins de 25 % au refus du projet. Beaucoup d’entre nous étions donc fort sceptiques mais cela n’empêcha pas que nous engagions nos maigres forces royalistes dans la bataille comme nous l’avions fait en 1992 lors du débat référendaire sur le Traité de Maëstricht. Sans illusions mais pas sans ardeur, ruminant l’incantation traditionnelle et magique « Le désespoir en politique est une sottise absolue », celle-là même qui nous sert parfois plus à assumer nos défaites sans honte qu’à préparer la victoire… Le 29 mai 2005, le titre « fou » de l’AF devenait réalité : le non a gagné ! Hier moqué, Pierre Pujo savoura cette petite revanche sur ses détracteurs et cette grande victoire politique pour le camp nationaliste (qui ne se limitait pas, en ce cas précis, aux seuls nationalistes proclamés et aux souverainistes, mais s’étendait jusqu’aux confins de la Gauche radicale).
(2) : Ce que je nomme le statut d’externalité, c’est le fait que le monarque n’entre pas dans les combinaisons qui, en République, « font » le prince-président, et qu’il est complètement « extérieur » à tout ce qui fonde les éléments de la souveraineté parlementaire (sans pour autant les méconnaître ou s’abstenir d’en écouter les différentes expressions partisanes et législatives), mais sans être, pour autant, un fantôme politique. Échappant à la politique quotidienne, il n’en est que plus indispensable à la possibilité de celle-ci, en s’inscrivant dans l’éternité, ne serait-ce que par la reconnaissance du vieux principe « le roi est mort ; vive le roi ! », totalement libre, essentiellement, de toute actualité parlementaire et gouvernementale…
(3) : En politique, la nostalgie peut nourrir un courant sentimental (ce qui n’est pas forcément toujours malvenu selon le passé considéré…), mais elle ne peut fonder de politique concrète, pratique et crédible sur le long terme.
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