Dans le cadre de mes articles publiés par la revue d’Action française Le Bien Commun, articles destinés à ouvrir quelques pistes de réflexion sur les questions sociales et environnementales, voici la deuxième partie d’une suite sur les enjeux de la démographie française : au-delà du constat, il s’agit ici d’avancer quelques propositions pour susciter un renouveau démographique, nécessaire si l’on veut relever nombre de défis qui s’annoncent pour les années, voire pour les décennies prochaines...
« La France est en train de perdre l’un de ses plus grands atouts : sa jeunesse. Historiquement plus féconde que le reste de l’Europe, elle vieillit à vue d’œil et comptera bientôt plus de retraités que d’enfants. A la fin de la décennie, les plus de 65 ans seront ainsi plus nombreux que les moins de 20 ans. (1) » : ce triste constat (publié dans la presse économique en janvier dernier) intervient après la publication des (mauvais) chiffres de la démographie française pour l’année 2023 et l’effondrement du taux de fécondité à 1,68 enfants par femme en âge de procréer (et non 1,8 comme je l’avais évoqué, trop optimiste encore, dans mon précédent article) et il peut légitimement nous inquiéter même si, en ce domaine, comme en d’autres, il faut savoir raison garder selon l’ancienne tradition capétienne. Tout d’abord parce que, si la démographie peut être considérée comme une science, elle n’est pas que cela et elle ne répond pas seulement ou forcément à des critères scientifiques, mais aussi à des considérations économiques, sociologiques, psychologiques et, aussi, éminemment politiques, et évidemment sentimentales : l’oublier serait s’empêcher de penser la démographie sur le long terme et, éventuellement, d’agir. Si elle permet de saisir l’état d’esprit du moment d’une société ou d’un pays, elle n’est pas une solution suffisante par elle-même pour résoudre ses propres difficultés à répondre aux enjeux de la pérennité d’une nation. Suffit-elle, d’ailleurs, pour que nos contemporains prennent conscience des risques d’une fécondité faible ou d’une transformation des populations locales ?
Selon une étude publiée en janvier dernier par l’Union nationale des familles et dévoilée dans La Croix (2), « les Français n’ont pas autant d’enfants qu’ils le souhaitent. Idéalement, ils aimeraient en avoir en moyenne 2,27 contre 1,7 dans les faits. La famille idéale est constituée de deux enfants pour 49 % des parents et de trois enfants ou plus pour plus d’un tiers. » Ce désir d’enfants en partie inassouvi selon cette enquête, montre bien que la fécondité française semble plus en dormition qu’en extinction : « Les conditions matérielles jouent un rôle important dans le décalage entre aspiration et réalisation, notamment en reportant l’arrivée des enfants, explique Bernard Tranchant, vice-président de l’Unaf. Répondre à l’aspiration des parents constitue un véritable enjeu politique et démocratique, sans compter l’impact sur la vitalité des territoires, sur l’activité économique et sur l’équilibre du système de protection sociale. » (3) » Un véritable enjeu politique, évidemment ! Mais au-delà, un enjeu de civilisation : une France qui s’abandonnerait sans retour au déclin démographique risquerait bien de ne plus peser suffisamment dans un monde où le nombre, s’il n’est pas suffisant à lui seul, compte tout de même notablement dans la présence géopolitique et dans l’affirmation de la puissance, ce que rappelle aussi Jean-Dominique Merchet dans son dernier livre, « Sommes-nous prêts pour la guerre ? », et qui confirme, d’une certaine manière, les leçons malheureuses de 1940…
La nécessité d’un redressement démographique s’impose à qui veut, d’une part que la France puisse entretenir sa puissance géopolitique et économique, d’autre part qu’elle puisse continuer à durer, dans son unité et sa logique d’indépendance et de particularité historiques et civilisationnelles, mais aussi sociales. « Pas d’enfants, pas de retraites » : ce qui paraissait n’être qu’un slogan tracé sur les murs par les royalistes il y a quelques années, voire décennies (4), apparaît désormais comme une simple banalité économique, même si les syndicats contestataires de la réforme des retraites de 2023 ont paru bien timides, voire muets sur cet aspect le plus contrariant pour les futurs retraités… Sans doute parce que ces acteurs de la protestation d’hier sont prisonniers d’une forme de pensée magique qui en néglige les réalités pour ne s’intéresser qu’aux principes, fussent-ils finalement désastreux pour la cause sociale qu’ils disent défendre ! C’est aussi ce que souligne une récente note stratégique du Haut-commissariat au Plan qui rappelle utilement que le modèle social français « relève d’un principe de répartition de la charge et du risque sur l’ensemble de la population active » (5), population qui risque de se réduire trop rapidement au regard d’une population de « sortis de l’actif » mécaniquement de plus en plus nombreuse (d’autant plus que l’espérance de vie augmente à nouveau).
Que faire, alors ? Il est un écueil à éviter de prime abord, c’est celui de faire de l’État le grand maître de la démographie : l’exemple de l’État de la République populaire de Chine qui impose en 1976 la politique de l’enfant unique dans le cadre de son régime totalitaire communiste montre les dangers d’un tel système et, aussi, ses terribles limites et conséquences, que cela soit sur les libertés proprement familiales (totalement niées) mais aussi sur les équilibres démographiques à moyen et long termes, et la difficulté à sortir de cette logique « dénataliste ». C’est aussi valable pour les politiques natalistes d’autres États totalitaires ou religieux : l’étatisme n’est jamais la solution, car c’est donner à l’État le terrible pouvoir de contrôler, d’une certaine manière, ce qui est le plus intime dans un couple et qui ne doit appartenir qu’à lui, dans une société soucieuse de préserver la vie privée. L’autre écueil, c’est, à l’inverse de la situation précédente, l’indifférence de l’État à l’égard de la situation des familles et de leur pérennité dans la société, comme s’il n’y avait que des individus anonymes et interchangeables, sans racines ni foyer, et que l’État se méfiait des familles elles-mêmes quand il faudrait, plutôt, les protéger et leur permettre de prospérer. Si l’on se tient à ce qui nous préoccupe en premier lieu, c’est-à-dire la France, le rôle de l’État doit être, à rebours des deux modèles négatifs précédents, de susciter un renouveau démographique par la valorisation d’un climat favorable à la natalité et, au-delà, à l’intégration forte des nouveaux venus sur cette terre à la société française : aujourd’hui, c’est sur l’accueil des nouveaux nés et la sécurisation de la situation des familles, et particulièrement des mères (ce qui ne signifie pas, pour autant, la mise à l’écart des pères), que l’État doit s’engager et faire preuve d’initiative et de volonté.
Une politique familiale (car c’est bien de cela dont il s’agit) ne sera vraiment efficace que si elle dépasse le seul cadre des aides et de l’économie : « on n’est pas amoureux d’un taux de croissance », disaient à raison les jeunes contestataires des années 1970 et affirment aujourd’hui encore les adversaires de la société de consommation. Ce sentiment est sans doute légèrement renforcé depuis le temps du grand confinement de 2020 et accentué par les angoisses climatiques d’une part des jeunes, cette fameuse « éco-anxiété » qui, disons-le crûment, est fort mauvaise conseillère : au lieu de mobiliser pour surmonter les défis environnementaux présents et à venir, elle pousse à une démobilisation démographique et à un renoncement à l’espérance, qui se traduisent par un véritable refus de l’enfant chez les couples jeunes qui croient ainsi (du moins, à les entendre) résoudre la question de leur propre empreinte écologique (6)…
Il n’est pas question de faire défiler un programme en tant que tel, mais d’ouvrir quelques pistes de réflexion pour la politique familiale nécessaire (mais pas forcément suffisante si elle est isolée du climat social) : par exemple, engager un véritable redéploiement rural qui prendrait le contrepied de la métropolisation contemporaine en revivifiant nombre de communes aujourd’hui désespérantes (parce que privées de services publics et de jeunes générations), paraît de plus en plus nécessaire et possible si l’Etat soutient les initiatives locales et celles de familles qui pourraient être incitées à s’y installer, par une politique fiscale intelligente et appropriée. Mais c’est en s’appuyant sur le souhait de jeunes familles de donner un sens à leur travail et à leur vie même que cette stratégie néorurale peut fonctionner : ce n’est pas, alors, l’argent qui domine la motivation, mais cette dernière qui pourra être soutenue, y compris financièrement. Autre proposition, qui paraît très en amont de la maternité mais qui peut la faciliter, y compris dans une période où manquent les personnels soignants liés à celle-ci : une formation aux premiers gestes de secours mais aussi d’aides à l’accouchement puis à l’accueil de la petite enfance dès les années de collège et de lycée (ce qui existe déjà, justement, pour la première partie de la formation évoquée ici, et que suivent de plus en plus d’élèves, ce que devrait renforcer l’extension progressive du Service National Universel aux jeunes générations lycéennes). Tout cela peut évidemment aussi s’envisager dans un cadre plus général de revalorisation des familles, et de leur intégration dans le tissu civique par un accès privilégié à la parole décisionnelle de leur commune ou de leur région : faut-il mettre en place un système de « vote familial » (7) pour certains aspects de la vie locale qui toucheraient, par exemple, aux questions d’instruction, de circulation ou d’animation du quartier ou de la commune, voire de la région ? Dans le cadre d’une réflexion institutionnelle large sur les questions de citoyenneté, il n’est pas interdit de poser cette question-là…
Tout comme il paraît tout à fait logique de penser que, pour mener à bien une politique familiale digne de ce nom, le mieux et le plus cohérent et efficace est d’établir, à la tête de l’État, non un homme seul issu de la compétition des suffrages individuels, mais une famille dont les racines plongent au plus profond de notre histoire : ce n’est pas pour rien, après tout, que la famille royale est connue sous le titre de Famille de France…
Notes : (1) : Lucie Robequain, éditorial des Echos, 17 janvier 2024.
(2) : Enquête publiée le 11 janvier 2024 et citée dans La Croix, 16 janvier 2024.
(3) : Article de La Croix, déjà cité.
(4) : Dans les années 1970-1980, les royalistes d’Action française usaient de cette équation simple pour expliquer en partie leurs campagnes contre la légalisation, mais plus encore contre la banalisation de l’avortement : selon eux, au-delà de l’acte lui-même qui touchait à la vie humaine d’un être pas encore né, il s’agissait d’un enjeu politique, car le grand nombre d’IVG pratiquées (entre 200.000 et 300.000 selon les années, avec une tendance actuelle à la hausse, semble-t-il) affaiblissait d’autant les chiffres de la natalité et réduisait ainsi les capacités humaines du pays.
(5) : La Croix, 16 janvier 2024.
(6) : Isabelle de Gaulmyn, dans son éditorial de La Croix de ce même 16 janvier 2024, répond de manière fort juste au non-désir d’enfant chez quatre jeunes sur dix (selon une récente étude publiée par The Lancet en 2022) : « Il faut sans doute voir là l’effet de la dépolitisation des questions climatiques : à force d’encourager les « petits gestes » pour le climat, on fait porter la responsabilité de l’avenir de la planète sur des individus, là où les institutions politiques devraient agir. C’est moins aux jeunes couples de se priver d’enfants qu’à la société dans son ensemble d’accepter des contraintes pour réduire la consommation globale d’énergie fossile. »
(7) : Le vote familial peut signifier une participation privilégiée des familles (calculée selon le nombre d’enfants et le statut même de la famille, traditionnelle, monoparentale ou recomposée) à l’élaboration de décisions afférentes aux questions touchant en priorité à la vie des familles, dans le cadre des institutions locales, communales et, pourquoi pas, régionales.