Dans un précédent article, j’évoquais l’invisibilisation de la question ouvrière (en particulier en France aujourd’hui) dans une mondialisation peu sympathique aux producteurs de base mais profitable à de grands groupes mondialisés dont la décence sociale n’est pas la principale préoccupation, ni même une préoccupation tout court… Pourtant, la mondialisation ou, plus exactement, la société de consommation venue d’Outre-Atlantique après la victoire – nécessaire, au demeurant - des Alliés en 1945, a longtemps gardé une bonne image en France, y compris près des travailleurs d’usines…
Durant les années dites des Trente Glorieuses (de l’immédiat après-guerre au milieu des années 1970), la contestation sociale (en particulier celle issue du monde des ouvriers) n’était révolutionnaire que de façon symbolique et sans doute superficielle : elle était ordonnée autour du souhait des travailleurs (légitime, au demeurant) d’intégrer la société de consommation (en revanche moins légitime à nos yeux par ses finalités et son esprit matérialiste) qui apparaissait comme le modèle dominant de l’Occident et comme sa réalisation ultime, sorte de fin de l’histoire avant l’heure. Le patronat et la République, qu’elle soit quatrième ou cinquième, jouaient alors leurs rôles respectifs, celui de l’acceptation contrainte et celui de l’arbitrage politique, l’Etat se voulant providentiel et bienveillant pour garantir la tranquillité sociale, condition forte de la « bonne » économie et de la puissance française, y compris au-delà de ses frontières. Mais le modèle de la société de consommation « à l’anglo-saxonne » devint totalement hégémonique après la chute du communisme soviétique de Moscou et la fin des illusions titistes et castristes. Ce n’est pas, ou rarement, le risque de fermeture d’usines ou de mines (jusqu’aux années 1970) qui motivait auparavant les grèves et les manifestations car il restait, sinon inexistant, du moins minime, surtout au regard de la période suivante, celle de la mondialisation désindustrialisante. Ce contrat social informel entre les travailleurs et les dirigeants (économiques comme politiques) n’a pas résisté à la crise de saturation (1) des années 70 (sans doute plus déterminante à cet égard que la crise énergétique dont la France est sortie assez rapidement par la mise en place d’une politique du « tout-nucléaire » osée, trop monolithique sans doute mais efficace durant au moins quatre décennies) et, de luttes sociales pour avoir « plus et mieux », l’on est passé à des combats de survie pour garder son emploi et son usine près de chez soi : une stratégie défensive malheureusement fragile face à la mondialisation et à l’esprit de consommation qui, trop souvent, prévaut sur la solidarité sociale française.
« Pour consommer français, encore faut-il produire français ! », et il paraît de bon aloi de rappeler que l’un ne va pas sans l’autre, que l’un nourrit l’autre et réciproquement. Or, trop souvent, c’est la Grande distribution qui ne joue pas le jeu et qui préfère ses marges confortables aux intérêts des entreprises locales ou des produits de proximité : les opérations des agriculteurs dans nombre de grandes surfaces lors des récentes crises paysannes ont montré l’hypocrisie de ces chaînes de distribution qui, à la recherche du prix le plus bas, vont privilégier parfois le produit le plus lointain, et pas forcément le plus sain, d’ailleurs. Mais les consommateurs eux-mêmes, trop souvent obnubilés par les étiquettes (ce qui peut néanmoins se comprendre pour les plus défavorisés de nos compatriotes), ne sont pas toujours aussi responsables et patriotes qu’il serait pourtant important qu’ils soient. C’est aussi pour cela que l’État central se doit d’avoir une stratégie claire de soutien aux filières de production française, malgré les règles dites de libre-concurrence imposées par les institutions européennes et mondiales : nous en sommes encore bien loin, l’État n’étant plus aussi libre depuis qu’il s’est enchaîné les mains avec des traités politiques et commerciaux peu favorables. Il y a là une capacité à agir librement que la France doit absolument retrouver, non pour s’isoler ou entrer en guerre commerciale et réglementaire avec nos partenaires et nos concurrents, mais pour préserver les droits de ceux qui, travailleurs d’usine ou des champs aujourd’hui, sont les éternelles victimes d’une mondialisation si peu sociale…
Notes : (1) : Au milieu des années 1970, les ménages sont désormais tous équipés de réfrigérateurs et de nombre d’appareils d’électro-ménager qui ont, pour beaucoup, la particularité d’être… durables ! Or, la société de consommation repose sur la formule « Consommer pour produire » : c’est ce mécanisme qui tend alors à s’enrayer et à entraîner une crise de l’emploi industriel, les consommateurs français ne jouant plus ce rôle d’absorption de ce qui était produit dans les usines françaises. La recherche de coûts de production moindres devient alors la principale préoccupation des dirigeants d’entreprise : c’est une des causes principales des délocalisations spéculatives et, par conséquent, de la désindustrialisation française, toujours de sinistre actualité malgré les efforts (parfois maladroits ou encore trop peu ordonnés) de l’État depuis une bonne décennie…
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