Les changements climatiques sont indéniables, n’en déplaisent à certains qui nient toute influence de ce facteur dans les transformations en cours, ou qui les relativisent en disant que « cela a toujours été ainsi », ce qui est réfléchir à courte vue et sans la profondeur nécessaire à l’appréhension des bouleversements en cours. Précisons les choses : 1. : Oui, il y a un « mouvement climatique » à long terme qui se déploie aujourd’hui, dans le sens d’un réchauffement global de la planète ; 2. : Ce mouvement n’est pas inédit, mais ce qui est nouveau, c’est sa rapidité, voire sa brutalité à l’échelle planétaire, voire humaine ; 3. : L’influence humaine sur ce mouvement n’est pas anodine, à cause des activités extractives et industrielles, mais aussi consommatrices de nos sociétés contemporaines, particulièrement depuis ces deux derniers siècles ; 4. : Néanmoins, il ne faut pas négliger les phénomènes liés à la vie même de la Terre et à l’influence de l’activité solaire (entre autres) ; 5. : Quoi qu’il en soit, les conditions climatiques actuelles doivent être prises en compte et, dans la mesure du possible, anticipées pour pouvoir prévenir et résoudre les nouvelles problématiques que cela engendre, qu’elles soient agricoles, touristiques et plus généralement économiques : c’est aussi là que l’empirisme organisateur trouve l’un de ses plus importants champs d’application pour les États et les entreprises, entre autres…
Pour autant, peut-on accuser le dérèglement climatique contemporain de tous les maux de l’agriculture française ? S’il est indéniable que la météorologie (1) joue un rôle dans la bonne ou mauvaise tenue des récoltes, en quantité comme en qualité, ce serait néanmoins une erreur d’appréciation de tout ramener à celle-ci et à son inscription dans le temps long de l’évolution climatique. Dans L’Opinion (2), d’autres explications et éléments de contextualisation sont avancés, qui méritent attention et réflexion, même si l’on peut ne pas partager l’optique clairement libérale de ce quotidien : « Conséquence de la baisse des rendements, des coups du climat et de la hausse des coûts de production qui s’ensuit, les surfaces cultivées en céréales baissent. Rien qu’en 2023-2024, la surface de blé tendre (4,36 millions d’hectares) a baissé de 7,7% par rapport à 2023 et 7,5% par rapport à la moyenne 2019-2023. Pour le blé dur, la baisse des surfaces est de 8,3% sur un an. A long terme, le déclin est net. (…) « La France du blé a perdu un million d’hectares entre 2016 et 2024 ! Les surfaces sont à leur plus bas depuis trente ans » (…). La baisse se constate aussi sur un an pour l’orge (-6,6%), le triticale, cet hybride de blé et de seigle (-7,6%). » Une situation fort inquiétante si ce mouvement de « désertification céréalière » se poursuit dans la décennie qui vient, ce qui, malheureusement, semble se confirmer à entendre les producteurs eux-mêmes…
Parmi les raisons invoquées pour expliquer ce processus dangereux pour l’agriculture, il y a, selon les céréaliers, la réduction drastique du nombre de molécules herbicides liée aux nombreuses réglementations sanitaires et environnementales récentes : « Depuis 2013, nous avons perdu la plupart des molécules herbicides qui nous permettaient de lutter contre les adventices (NDLR : les mauvaises herbes) qui nuisent à la qualité des récoltes, comme le vulpin et le ray-grass, avance Eric Thirouin (3). Même chose pour d’autres molécules, luttant contre les moisissures. La France, quand elle ne devance pas les interdictions, inflige des restrictions d’usage bien supérieures à celles des voisins. (…) Les stocks de graines de plantes concurrentes s’accumulent dans les sols, elles sont hors de contrôle. Sur certaines parcelles, les agriculteurs renoncent à récolter, tellement le blé a pâti de la concurrence de ces plantes. » S’il me semble nécessaire de trouver les moyens de se passer, le plus possible et tant que c’est possible, des molécules « cides » de tout genre, il est indéniable que, là encore, « la charrue est mise avant les bœufs » ! Dans l’idéal, c’est une agriculture biologique qu’il importe de privilégier, et j’en suis un fervent partisan. Cela étant dit, il apparaît qu’une transition raisonnable et raisonnée doit être de mise plutôt que cette brutalité réglementaire qui a tendance à « jeter le bébé avec l’eau du bain » et qui aggrave les situations au lieu d’améliorer les choses. En ce domaine comme en d’autres, le dogmatisme est néfaste et, surtout, contre-productif ! D’ailleurs, la production céréalière en agriculture biologique a, elle aussi, énormément souffert des mauvaises conditions météorologiques de cette année : selon Eric Thirouin, « Les rendements en bio baissent aussi. Les agriculteurs sont complétement démunis face au changement climatique et subissent les mêmes contraintes face aux mauvaises herbes, en pire. Cette année, la perte de rendement en bio est de 40 à 50%. »
Après ce constat, l’éternelle question se pose : « Que faire ? » J’ai avancé quelques solutions d’urgence dans une précédente note (dont celui des « prix protégés » pour les productions céréalières, mesure provisoire mais vitale à court terme), et il me semble tout à fait nécessaire de soutenir aussi les producteurs agricoles dans leur ensemble (mais en tenant compte des situations particulières de chaque exploitation et production, voire mode de production (4)), que cela soit par un allégement ou un report de charges dans un premier temps, et sans doute par quelques moyens supplémentaires dédiés aux producteurs nourriciers français pour préparer la prochaine année. Mais cela ne suffira pas : il faut penser sur le long terme, et rechercher les meilleurs moyens de concilier qualité et quantité, et de les inscrire dans une stratégie plus large de souveraineté alimentaire française et d’affirmation internationale sur le marché des produits agricoles et de leurs dérivés multiples et variés. Pour refaire de notre pays une grande puissance agricole et revitaliser les territoires ruraux sans lesquels la France n’est plus exactement la France…
Notes : (1) : La météorologie est un terme que je ne confonds pas avec la climatologie, plus large et qui s’envisage sur le long terme, même s’il y a des rapports évidents entre eux, mais pas exclusifs. Ici, j’utilise le terme de météorologie pour signifier les caractères naturels (de température, de luminosité et de pluviosité) qui affectent la production céréalière (entre autres) sur le temps court d’une année.
(2) : L’Opinion, 9 septembre 2024, sous la plume d’Emmanuelle Ducros.
(3) : Eric Thirouin est le président de l’Association générale des producteurs de blé.
(4) : Ainsi, il me semble important, dans le cadre du redéploiement rural à pratiquer et à soutenir dans les prochaines années et décennies, de privilégier les exploitations proprement « biologiques », ce qui ne signifie pas abandonner les autres, mais valoriser celles dont les effets secondaires sur les paysages, la biodiversité avoisinante, la qualité des terres et des productions, mais aussi leur diversité, sont les plus appropriées aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques contemporains et à venir.
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