Je n’aime guère l’Argent quand il se veut la seule valeur ou la seule puissance : il me semble que le « vil métal », comme l’appelait Maurras, est souvent plus corrupteur et tentateur quand il s’empare des esprits et des curs sans mesure ni charité. Tout comme je suis fort réservé, et parfois scandalisé, à l’égard de ces grandes fortunes qui oublient leurs devoirs sociaux et se moquent de la simple justice sociale, comme l’affaire Zacharias le montre à l’envi (ce grand patron multimillionnaire déchu la semaine dernière de sa fonction patronale se battant bec et ongles pour des « stock-options » qu’il estime lui être dues, et faisant preuve d’une indécence qui révolte jusqu’à ses propres amis
) : je n’aime guère les « Nicolas Fouquet » et j’ai tendance à applaudir lorsqu’un « Louis XIV » y met bon ordre
D’ailleurs, il ne peut y avoir d’ordre sans justice, et c’est une constante des Capétiens de l’avoir proclamé, même si l’application de ce principe n’a pas toujours été simple.
Aussi, je trouve fort honorable l’intention de ce multimilliardaire états-unien, Bill Gates, d’utiliser sa propre fortune pour soulager les misères des pays les plus pauvres, ce qu’explique « Le Figaro » dans une page entière de son cahier économie du 17-18 juin : la Fondation Bill et Melinda Gates « est aujourd’hui la plus grande organisation philanthropique du monde, avec 29 milliards de dollars. Soit l’équivalent de la moitié de la somme allouée chaque année par les pays riches aux pays pauvres, au titre de l’Aide au développement. (
) En 2004, elle a, dit-on, dépensé autant d’argent que l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Lutte contre la malaria, le sida, la tuberculose, campagnes de vaccinations
(
) Il faut le reconnaître, la Fondation Gates réussit, pour l’instant, là où beaucoup d’Etats défaillent. Sa prodigalité a permis, par exemple, de vacciner à ce jour 55 millions d’enfants. (
) Il s’est fixé des objectifs à sa mesure : éradiquer, de son vivant, le paludisme, la diphtérie, voire le sida. Pour ce faire, Bill et Melinda Gates se sont entourés de scientifiques chevronnés pour diriger des programmes de recherches. (
) Bill Gates a promis de ne léguer que 5 % de sa fortune à ses trois enfants. Les 95 % restants iront à la Fondation ». En agissant ainsi, M. Gates se place dans la lignée de ces catholiques sociaux français du siècle dernier qui considéraient que leur fortune même leur donnait l’obligation d’en redonner une part aux plus malheureux : de nombreux marxistes y ont alors vu une « diversion sociale » pour écarter les ouvriers de l’action révolutionnaire et ont traité ces riches donateurs de « paternalistes », terme d’ailleurs plus intéressant et moins méprisable que ce qu’ont laissé entendre les socialistes du XIXe siècle.
Bien sûr, on peut faire la fine bouche devant ces initiatives caritatives : mais, à l’heure où les compagnies aériennes dénoncent la taxe chiraquienne sur les voyageurs (pourtant fort raisonnable : de 1 à 40 euros selon le prix du billet) destinée à financer la lutte contre le sida en Afrique, cette mesure de Bill Gates me semble la bienvenue. Certes, elle est sans doute insuffisante et ne remplace pas une politique plus globale qui reste l’apanage des Etats et des institutions internationales, mais elle a le mérite d’exister et elle sauve des vies là où elles semblent parfois ne pas compter beaucoup. Quand un grand capitaliste, pour quelque raison que ce soit, engage sa fortune pour soulager la misère des autres, il a droit à ce qu’on le salue. Cela n’enlève rien à ma défiance (voire plus
) à l’égard du capitalisme, mais éviter le dogmatisme me semble nécessaire pour agir sur le monde et son histoire.
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