Je suis toujours en train de corriger les devoirs de Première S sur l’Union européenne : comme c’est long ! Mais j’ai la chance de ne pas lire trente fois le même devoir, ce qui est plutôt satisfaisant, car cela montre que les élèves commencent à développer des réflexions plus personnelles à partir de leurs lectures ou de leur écoute du cours ou, au-delà, des médias, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont toujours très originaux ou « non-conformistes », bien sûr. A eux de construire leur pensée personnelle, et de la confronter au réel pour la conforter ou l’amender.
Il se trouve que l’actualité rejoint certaines des préoccupations soulevées par les sujets proposés. Ainsi, dans « La Croix » (mardi 30 janvier 2007), le professeur Bertrand Badie consacre un article fort intéressant à la disparition de la diplomatie propre de l’Union européenne, sous un titre explicite : « Il n’y a plus de diplomatie européenne ». L’article devrait être cité dans son entier car il dresse un historique (depuis la chute du Mur de Berlin) et un constat brefs mais complets de la situation. Ainsi, il explique que la fin de la bipolarité issue de l’après-guerre avait ouvert des possibilités d’expression et d’expansion inédites à l’Union européenne, et que celle-ci, dans les années 90 et malgré les affaires yougoslaves ou tchétchènes, avait cherché à « constituer un point d’équilibre et une source de propositions alternatives là où la superpuissance est en difficulté. Cristallisée autour de valeurs propres qui font sa singularité et son unité, elle peut également substituer, à l’arme inopérante de la puissance, celle plus performante, et surtout plus rassurante, de l’influence ». Sans doute y a-t-il une certaine illusion chez Badie lorsqu’il semble n’accorder du crédit qu’à la seule « influence », car il me semble qu’il ne peut, dans notre monde globalisé et conflictuel autant que contractuel (même si les contrats et les traités ne sont ni immortels ni intangibles, mais bien plutôt « saisonniers »
), y avoir de véritable influence que si la parole vient d’une position, géopolitique, diplomatique ou « morale », puissante et reconnue comme telle. C’est d’ailleurs aussi le sentiment de la diplomatie française de Védrine à Villepin, ou de Mitterrand à Chirac, qui évoque régulièrement le concept, éminemment français, d’ « Europe puissance ».
D’après Badie, la diplomatie européenne n’existe plus vraiment depuis l’année 2003 : « La crise irakienne a donné le coup de grâce. Elle a contribué à diviser diplomatiquement l’Europe comme jamais auparavant. Pour la première fois de manière claire et brutale, elle a fait le partage entre alliés privilégiés des Etats-Unis et tenants de l’autonomie diplomatique. (
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L’un des effets les plus inattendus du dossier irakien aura ainsi été de tétaniser l’Europe diplomatique, la rendre dépendante durablement, non pas tant des Etats-Unis que de l’obligation obsessionnelle de devoir perpétuellement se définir par rapport à Washington.
Faute d’initiative, l’Europe se recompose passivement sur un espace qui coïncide de plus en plus avec les terres européennes de l’alliance atlantique. Sans personnalité réaffirmée, elle risque de devenir la sous-partie d’une OTAN qui, en même temps, se mondialise et multiplie ses fonctions, jusqu’à prétendre dangereusement supplanter l’ONU pour s’imposer comme les « Nations unies démocratiques ». Ministre des affaires étrangères de fait d’une Europe muette, Javier Solana redevient de plus en plus le secrétaire général de l’Otan qu’il était naguère. »
Il est possible que, du coup, la France, qui compte de nombreux atouts dans son jeu mais qui hésite à les utiliser (tragique timidité !), soit à l’origine d’une relance de la diplomatie de l’Union dans les mois prochains : encore faudrait-il qu’elle ait d’abord conscience que le rêve fédéraliste du couple Monnet-Schuman est mort et enterré et qu’il vaut mieux prendre les nations historiques telles qu’elles sont et deviennent plutôt que d’attendre la naissance d’un « esprit » et d’un « peuple » européen qui, ni l’un ni l’autre, n’ont jamais existé que sur le papier qui, c’est bien connu, « souffre tout »
L’idée d’une Confédération européenne, ou d’une autre Alliance, pas forcément « européenne » d’ailleurs, me semble plus crédible aujourd’hui et pour demain. En attendant, que la France se renforce pour pouvoir parler, se faire écouter et entendre, et agir, en Europe et au-delà : sans cela, il n’y aura pas de diplomatie, européenne ou continentale, qui vaille
Il y aurait beaucoup à dire sur la façon choisie par Chirac et Villepin pour s'opposer à la guerre d'Irak. Remarquons en passant qu'elle fut sans effets, sauf dommages à notre endroit.
La ligne de fracture diplomatique au sein de l'Europe suit les contours du socle fondateur, à l'exception de l'Italie qui à ce moment-là était gouvernée par un histrion irresponsable, comme la démocratie en laisse passer quelquefois. Le peuple italien avait parfaitement compris la vive réaction franco-allemande.
Les six membres fondateurs restent animés de l'esprit fédéral. Toutes les pièces rapportées ensuite sont des clients, qui comptent sou à sou.
Est-il trop tard pour lancer une Fédération d'Europe occidentale avec les 6 de départ plus l'Autriche ? Elle se confédèrerait avec les pays de l'Espace Economique Européen, les 21 autres.
Rédigé par : Catoneo | 06 février 2007 à 09:44
Je pense qu'il est trop tard pour faire une chose pareille !!!
La meilleure des choses est déjà d'arréter l'elargissement de l'UE car elle va devoir rivaliser avec l'ONU si elle continue (je sais que c'est impossible bien sûr). Je pense qu'il est nécessaire de penser à une Europe-puissance et non à une Europe super-marché !! Ce super-marché ne pourra pas dans les années futures rivaliser avec les pays émergents du Tiers-Monde tels la Chine, l'Inde ou le Brésil (on parle peut de ce dernier mais il faut le regarder de plus prêt : si c'est avec un pays qu'il faut aujourd'hui s'associer, c'est avec le Brésil !)
Attention, les bienfaits qu'on attend de l'UE peuvent se retourner sur celle-ci............... 27 c'est trop ! et 15 c'etait limite ! J'en reparlerai je n'est pas le temps de m'expliquer mais si M. Chauvin vous pouviez donner une véritable idée sur ce que vous pensez et proposez pour une UE meilleure ! (si il faut encore parler de UE) !!
Seb. V
Rédigé par : Seb V. | 07 février 2007 à 21:19
Merci à Catoneo, Seb V. et Un Deux Trois: je vais refaire des notes la semaine prochaine pour tenter d'y répondre ou d'approfondir mes propos. Pour Un deux trois, en attendant ma réponse de la semaine prochaine (merci d'avance de votre patience), je vous indique que j'ai commis quelques notes sur les thèmes qu'il évoque, en particulier en août 2006 et la note, plus ancienne, sur www.u-blog.net/jpchauvin/note/4 . Cordialement.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 10 février 2007 à 13:38