Il est des anecdotes révélatrices, dans lesquelles Léon Daudet croyait voir ce qu’il appelait des « intersignes » : ainsi, celle survenue il y a quelques jours lors du voyage de la reine Elisabeth II d’Angleterre aux Etats-Unis et que rapporte Pierre-Yves Le Priol dans « La Croix » du jeudi 10 mai. Lors de la réception donnée en l’honneur de la reine, « l’homme [George Bush
] laissa échapper une de ces bourdes dont il est coutumier en précisant que la vieille souveraine avait déjà dîné « avec dix présidents américains » ! « Vous assistiez au bicentenaire de notre pays, ajouta-t-il encore, en 177
, euh, pardon, en 1976. »
Rires incoercibles, forcément, parmi les 7000 invités. Bush tente de se rattraper en se tournant vers la reine, l’air piteux. « Elle m’a regardé, fait-il alors à l’adresse des moqueurs, comme une mère qui va gronder son fils »
(
) Elle remerciera peu après son hôte pour ses « propos chaleureux » et ne jugera pas utile de préciser (si on en croit M6) qu’elle n’a connu de leur vivant ni Washington ni Benjamin Franklin.». Du coup, George Bush « aura été vu pour la première fois en frac au dîner officiel offert le soir même, comme pour se rattraper » : étonnant, non ?
En fait, il y a plusieurs éléments très intéressants : d’abord le trouble du très puissant Président de « l’hyperpuissance » états-unienne devant la reine, pourtant considérée comme plus symbolique que politique ; ensuite, l’évocation de la « mère » qui, dans l’inconscient américain, n’est pas totalement innocente : après tout, les Etats-Unis ne sont-ils pas le fils prodige de l’Angleterre impériale du XVIIIe siècle, au point de déclarer un siècle après la guerre d’Indépendance : « L’Angleterre, notre mère » ? Mais, surtout, ne sont-ce pas, effectivement, plusieurs siècles que symbolise la reine par le fait d’être un maillon dans la longue chaîne, parfois « refondue » d’ailleurs, des générations de souverains, entre hier et demain ? Et, de plus, Elisabeth II, en ses 55 ans d’un règne dont certains trouvent qu’il s’éternise et ne laisse guère de place à son héritier direct, a effectivement vu passer plus de dix présidents états-uniens mais aussi, en comptant le tout nouvel élu, huit présidents français dont de Gaulle, Mitterrand et Chirac (trois longs règnes républicains
). Mais, plus intéressant encore, dix-huit premiers ministres britanniques, qu’elle a reçu au moins une heure toutes les semaines, tous les mardis soirs, depuis son intronisation, ce qui en fait la femme la mieux informée du Royaume-Uni, et celle qui, discrètement, peut conseiller et orienter, même si sa parole n’est pas toujours entendue, ou comprise par le locataire du 10, Downing street
Au-delà du Pouvoir, qu’elle n’a pas au sens institutionnel du terme, cette longue durée lui permet d’être la « mémoire du Politique » et, encore plus sûrement, de la nation.
Imaginons, dans notre cadre français, avec des institutions monarchiques « à la française », ce que cela pourrait signifier et permettre, en particulier sur la scène internationale, à la France ainsi incarnée par un souverain (ou, pourquoi pas, une souveraine
) qui serait le visage de cette longue mémoire et de celle transmise par sa famille qui plonge ses racines dans le plus profond de notre Histoire
Et Bush pourrait bien se tromper d’un millénaire, cela ne serait pas vraiment une erreur, juste une « reconnaissance inconsciente », d’autant plus symbolique
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