Voici un article que j’ai écrit il y a quelques semaines et que vient de publier « Royaliste » dans sa dernière livraison :
Présence et politique des Orléans au XIXe siècle.
La Monarchie est une affaire de familles, mais aussi parfois de querelles entre elles : le XIXe siècle en est la meilleure et la plus cruelle des illustrations, qui vit s’affronter deux branches, proches en cousinage, des Bourbons. Le dernier livre d’Hervé Robert, spécialiste de l’orléanisme, s’intéresse à celle des princes d’Orléans, et a le mérite de leur rendre justice en les replaçant dans le contexte d’un XIXe qui se cherche des institutions stables et pérennes et des conflits de mémoire comme de pouvoir.
Ce recueil d’articles, intitulé « Les princes d’Orléans, une Famille en Politique au XIXe siècle » et dédié à la mémoire de Mgr le Comte de Paris, est une véritable mine de renseignements et de mises en perspective ainsi que de réflexions utiles à qui veut comprendre la fidélité critique d’une famille à elle-même et sa stratégie du Pouvoir, mais aussi ses hésitations, ses drames et ses échecs malgré son indéniable volonté trouvant, à chaque génération, à s’incarner dans un de ses membres.
Si Louis-Philippe n’était pas à l’origine destiné à monter sur le trône, il n’en était que plus libre pour accomplir son devoir filial de reconnaissance à l’égard d’un père régicide et tenter de défendre sa mémoire, tâche guère facilitée par la complexité du duc d’Orléans de l’époque révolutionnaire et le « brouillage » de son image par une Opinion publique qui lui prêtait plus qu’il n’avait et n’était. Sa propre histoire personnelle, marquée par les morts successives du « Père » (le roi Louis XVI d’une part et son père charnel, le duc d’Orléans, d’autre part), est aussi celle de l’exil, des rencontres et des espérances : madame de Staël, qui partage son anglophilie née avant même son exil anglais des années de la République et de l’Empire, sera une « convertie à l’orléanisme », cette doctrine si personnelle de Louis-Philippe qu’il développe, au cœur même de la Restauration, à travers ses propres « Souvenirs de 1814 » : le prince « nous laisse entendre qu’en lieu et place de son cousin Louis, il eût (…) choisi de conjuguer souveraineté royale et souveraineté nationale pour fonder un « Nouveau Régime monarchique ». La monarchie de Juillet réalisa cette conjugaison. Mais imparfaitement parce qu’elle reposait sur un dualisme de pouvoirs inégalitaire », explique Hervé Robert.
Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ou cru, Louis-Philippe n’a pas comploté pour monter sur le trône mais il est vite apparu comme le meilleur moyen de sauver ce qui pouvait l’être de la Monarchie et, en somme, l’assimiler totalement à la « nation de 1789 », la relier au « moment révolutionnaire » comme pourrait le démontrer l’intervention de Lafayette pour faire approuver le nouveau pouvoir incarné par Louis-Philippe : Hervé Robert titre, avec justesse, le chapitre sur la révolution de juillet 1830 : « hasard et nécessité »…
Lorsque Chateaubriand, légitimiste et irréductible adversaire de la monarchie orléaniste, écrit que « ceux qui ont forgé l’épée de la nouvelle royauté ont introduit dans sa lame une paille qui tôt ou tard la fera éclater », il semble lui dénier toute possibilité de s’enraciner durablement. Pourtant, la chance de la monarchie nouvelle existe et s’incarne dans Ferdinand-Philippe, duc d’Orléans et fils aîné de Louis-Philippe, sans doute plus populaire que son père et porteur des espérances du régime et symbole de sa pérennité possible. Sa mort tragique, le 13 juillet 1842, « n’est pas simplement un malheur familial. Elle représente aussi un drame national. Comme l’écrit Alfred de Musset : « une heure a détourné tout un siècle ». » Formule terrible et terriblement vraie que les événements confirmeront : malgré la « noire lune de miel » de Louis-Philippe avec le pays au moment des funérailles, le « roi bourgeois » partira pour un nouveau et définitif exil en 1848…
Mais la Monarchie ne meurt pas forcément dans son éloignement du Pouvoir et elle continue à s’incarner, en marge et en concurrence de la République, à travers les princes qui se succèdent à la tête de la Maison de France. Le comte de Paris des premières années de la IIIe République ne s’est pas contenté, comme le montre Hervé Robert, de « prétendre » ; il a aussi cherché à « penser la Monarchie » à travers ses instructions et son « Pacte national » qui tracent les lignes de force d’un royalisme cherchant à formuler et à fonder la Monarchie sur des principes démocratiques et nationaux : d’où cette formule qui fera florès parmi ses partisans et héritiers : « la monarchie traditionnelle par son principe, moderne par ses institutions »…
Ce livre, nécessaire pour comprendre le rôle des princes d’Orléans au XIXe siècle et pour réévaluer correctement leur place dans l’histoire politique française, , prouve également que la monarchie dite orléaniste ne mérite pas, sans doute, tous les procès qu’on lui fait par méconnaissance ou par jalousie. Si les Orléans ont échoué à enraciner leur dynastie au sommet de l’Etat, ils n’en ont pas moins imprégné le monarchisme du siècle et incarné une véritable tentative de modernisation des institutions françaises, peut-être trop marquée par une histoire familiale inquiète et « incomplète », par des occasions douloureusement manquées. Et le duc de Chartres, frère du comte de Paris, a résumé (dans une lettre de 1886) ce qui peut apparaître comme le programme des princes et des monarchistes des siècles suivants : « Il faut commencer à penser aux choses pratiques et habituer le pays à l’idée de la possibilité de ce que j’appelle une monarchie raisonnable, c’est-à-dire une monarchie qui ne soit ni pure légitimiste ni cléricale ni parlementaire ni autoritaire. Une monarchie de l’avenir. Un gouvernement de la société de l’avenir et non du passé ». Un héritage d’avenir…
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