J’ai profité des derniers jours de vacances à Lancieux pour trier quelques papiers et découper les journaux accumulés ces derniers mois pour alimenter mes dossiers sur des thèmes aussi variés que la crise, les problèmes agricoles ou les questions démographiques contemporaines : il faut bien avouer que la période estivale n’a pas été très reposante en actualités sociales et politiques, et que de nombreuses annonces gouvernementales ou mêmes réformes votées ou simplement impulsées durant les mois de juillet et d’août vont sans doute encore faire parler d’elles dans les temps prochains…
Cela étant, la rentrée sociale sera-t-elle plus chaude que les précédentes ? J’avoue être un peu sceptique ou, en tout cas, prudent : je me méfie des prédictions certaines qui, souvent, sont démenties par la réalité, et je ne crois guère à ce « grand soir » qui a tant fait rêver et qui se fait tant attendre, depuis le temps qu’on en parle… Bien sûr, il y a de nombreux motifs de mécontentement, voire de colère, et l’on aura sans doute « raison de se révolter », comme l’affirmait ce livre du milieu des années 70 coécrit par Jean-Paul Sartre, Philippe Gavi et le maoïste Pierre Victor (qui, je crois, a connu un parcours tout à fait particulier par la suite en retrouvant ses racines profondes : j’en reparlerai sans doute un jour). Bien sûr, les producteurs de fruits et légumes harcelés par Bruxelles et trahis par l’Etat, les ouvriers de Molex jetés comme des malpropres par la multinationale états-unienne au nom de la rentabilité, les mères de famille flouées par l’Union européenne au nom d’une égalité et de la « non discrimination » entre hommes et femmes dans le cadre des retraites, etc. vont faire parler d’eux et livrer bataille contre un Système absurde et injuste que la République, piégée par ses propres principes et logiques (attachement aux règles du libéralisme économique, idéologie égalitaire, engagements européens, etc.), ne peut combattre et à peine modifier. Mais, la révolte ou, plus exactement, les révoltes suffisent-elles à changer les choses en profondeur et, surtout, dans quel sens ?
Justement, en lisant « Le Figaro » du 24 août, la philosophe Chantal Delsol évoque « la rentrée, un mythe de vacances », avec des accents que je comprends et que je peux faire miens sans trop de problème : elle ironise sur ceux qui, à gauche, appellent aux « luttes » comme une sorte de rituel saisonnier. Il est vrai que certains en ont fait leur fonds de commerce, sans pour autant être vraiment utiles à ceux qui souffrent concrètement des méthodes libérales (ou déclarées telles) : « On peut espérer que le vieux monde français se fissure, autrement que par l’entremise de ces « luttes » obsolètes. Qu’éclate un tissu d’habitudes de pensée et de conformisme sournois…
Nous n’en prenons pas le chemin. En ce qui concerne la rentrée scolaire et universitaire, elle ne pourra qu’exprimer encore une fois, et un peu plus encore que l’année précédente, le malaise issu de l’immobilisme national. » Un « vieux monde français » et un « immobilisme national » qui sont le reflet et les conséquences de notre République des féodalités, éternellement coincée entre deux élections et incapable désormais de se libérer quand il le faut des oukases européennes ou idéologiques : cela vaut aussi, il faut le dire, pour ceux qui ont à se plaindre de la crise actuelle et pour nos concitoyens, trop souvent bercés d’illusions et prisonniers malgré eux des préjugés républicains instillés par l’Ecole et les médias… Ces préjugés que, d’ailleurs, dénonce à mots couverts Mme Delsol quand elle parle d’un « tissu d’habitudes de pensée et de conformisme sournois » !
Un peu plus loin, la philosophe s’en prend au côté kafkaïen et parfois désespérant de notre Société des apparences et des leurres : « Un nombre de bacheliers plus important encore qu’auparavant va se retrouver soi-disant prêt pour des études supérieures inadaptées. Une vague de nouveaux diplômés va se rendre compte que l’offre de travail ne correspond pas à ses espérances déconnectées de la réalité économique. Dans les lycées, où il devient presque impossible de redoubler, un nombre de jeunes plus important encore se retrouvera au fond de la classe en attendant l’âge de quitter l’école, n’apprenant rien de plus que la paresse et la révolte. Les universités, ouvertes à tous les vents pour préparer à des diplômes trop souvent dévalués, verront le nombre de leurs inscrits diminuer, les bacheliers trop nombreux cherchant des solutions alternatives d’ailleurs trop rares.
« Autant dire que l’aigreur et la déception monteront d’un cran. Sans le courage des gouvernants pour accomplir les réformes indispensables (sélection à l’entrée des études supérieures, réhabilitation symbolique de l’apprentissage technique, acceptation des classes de niveau autrement que par des contournements hypocrites profitant seulement aux plus avertis), chaque rentrée ne peut être que l’accentuation d’un pourrissement. » Cette citation (en particulier le dernier morceau de phrase) est-elle trop pessimiste ou simplement réaliste ? Je ne désespère pas de voir les « réformes indispensables » avancées par la philosophe mises en place, même si je nourris, là encore, peu d’illusions à l’égard de cette République qui s’abandonne de plus en plus à la notion de « gouvernance » si libérale qu’elle risque de juste signifier l’acceptation du « laisser faire-laisser passer » et d’une forme de darwinisme social peu propice au soutien des plus faibles, en ce domaine comme en d’autres. Les gouvernants, en fait, seront d’autant plus politiques et efficaces que les institutions leur permettront de ne pas agir en vain : mais, à Richelieu il faut Louis XIII, à Colbert Louis XIV… Nécessité, non d’un homme, mais d’un Etat inscrit dans la durée et dans la liberté statutaire, c’est-à-dire d’un Roi.