Non, les royalistes ne sont pas des « émigrés de l’intérieur » comme la République essaya de le faire croire dès son établissement frauduleux en 1792. Et les questions sociales ne sont pas pour eux des sous-dossiers qu’il s’agirait de traiter sans profondeur, avec une certaine condescendance. Lors du grand débat de 2023 sur les retraites, loin d’être inactifs et fatalistes, les royalistes sociaux réfléchirent aux enjeux et aux risques, argumentèrent contre les projets gouvernementaux, mais ils travaillèrent aussi à creuser des pistes nouvelles de réflexion, firent des propositions concrètes et refusèrent de tomber dans la démagogie facile. Ce travail, parfois ingrat, n’a jamais cessé, comme l’a démontré la session d’études de l’Action française à Aix-la-Provence, en février dernier. Voici, ci-dessous, la quatrième partie de mon intervention à ce séminaire…
Il y a d’autres éléments dans la société d’aujourd’hui qui peuvent poser problème et qui font que les royalistes s’interrogent, s’interposent et interpellent : c’est, par exemple, la question des retraites et de leur financement. Aujourd’hui on parle beaucoup de capitalisation. Je regardais les titres de la presse d’hier (en février 2025), tous portaient sur l’idée que désormais il fallait basculer sur la capitalisation. Sans, d’ailleurs, qu’il y ait beaucoup d’articles pour évoquer les avantages ou les inconvénients de ce basculement. En somme, c’était comme si c’était déjà fait. On voit comment le système se moque bien de savoir quel est l’avis des gens qui travaillent, s’il y en a qui veulent travailler un peu moins et d’autres qui veulent (ou peuvent) travailler un peu plus, parce qu’il y a aussi cela qu’il faut prendre en compte. Mais on était dans une logique purement comptable. Les hommes ne comptent plus, le travail ne compte plus, la création de richesse ne compte plus. Ne comptent que la comptabilité des retraites et le fait que cette capitalisation permettrait à certains de faire des affaires (mais sont-ce forcément les retraités eux-mêmes ?).
Et pourtant, si l’on réfléchit un peu, l’on pourrait concevoir une autre forme de capitalisation, mais je ne suis pas sûr que cela plaise aux grands financiers ni aux spéculateurs. Pourquoi ne pas penser à une forme de capitalisation corporative comme il en existe déjà dans un certain nombre d’endroits et dans quelques professions, souvent libérales ? Mais là, il est évident que ça ne profite pas aussi bien à certains groupes, à certains financiers, à certaines multinationales… (ndlr : La question de la capitalisation corporative est une piste de travail à approfondir, et j’y consacrerai une prochaine note, qui ne sera pas définitive mais posera quelques éléments possibles de fondation et d’action en ce sens)
Autre problème de notre société contemporaine : la précarité étudiante, dont on parle bien peu dans la grande presse et dans la société en général. Je suis très surpris que dans le monde universitaire on en parle si peu alors qu’elle touche pourtant un étudiant sur cinq ! Certes, il y a quelques actions « charitables » pour lutter contre ce fléau social. On voit même quelques syndicats marqués à droite comme à gauche, se transformer en œuvres de charité, ce qui n’est pas si mal que ça, mais on se rend compte que les syndicats étudiants se désintéressent de cette question de la précarisation étudiante, du précariat, qui annonce peut-être une suite encore plus dramatique. J’ai retrouvé dans un vieux journal du Comte de Paris, Ici France, que l’on parlait de « prolétariat intellectuel ». C’est un terme qui a eu une certaine heure de gloire à nouveau dans les années 68. Mais il y avait l’idée dans cette presse monarchiste de l’Après-guerre que le monde intellectuel sorti des universités n’aurait plus le même statut que celui qu’il pouvait espérer. C’est d’une actualité assez frappante quand on voit la condition aujourd’hui des professeurs et de ceux qui sortent des universités. Je parle surtout des Lettres et des Sciences humaines, mais pas seulement.
Il y a aussi la question plus générale de la pauvreté, du précariat qui est une autre forme de prolétariat qui est peut-être beaucoup plus enraciné et donc plus appelé à durer, en particulier dans le cadre aliénateur de la société de consommation, si tentatrice et si étouffante.
Il y encore et toujours la question agricole, à laquelle nous pouvons penser en ce jour de l’ouverture du salon de l’agriculture (ndlr : 22 février 2025), et ce n’est pas parce qu’on voit moins de tracteurs dans les rues que les problèmes ne se posent pas ou n’existent plus. L’un des principaux problèmes, justement, est ce libre-échange que l’Union européenne ne cesse de mettre en place, d’accroître, de motiver avec le MERCOSUR, par exemple. Alors, on dira que la France s’est opposée à ce dernier traité… mais si elle est mise en minorité au sein de l’UE, elle n’osera pas taper du poing sur la table ou risquer la rupture. Avec la nouvelle donne géopolitique et la guerre commerciale engagée par les Etats-Unis d’Amérique, Madame Ursula von der Leyen, dans une certaine indifférence des médias, est en train de réactiver une dizaine de plans prévus de traités de libre-échange avec la Malaisie, l’Indonésie, avec d’autres pays, sans que cela n’émeuve beaucoup nos politiques français. Je n’ai vu pour l’heure qu’un seul article, c’est dans Marianne de cette semaine [17-23 février 2025] qui évoquait l’abandon de toute velléité de souveraineté alimentaire pour se jeter dans les bras du libre-échange. On quitte les bras des États-Unis pour se jeter dans d’autres bras en espérant toujours que l’agonie soit plus longue ou en tout cas que la survie continue pour cette Union européenne.
Beaucoup de thèmes, de débats, de choses qui peuvent nous choquer, nous alerter. Ce constat peu réjouissant, pas très rassurant, nous pourrions nous en contenter, nous décourager aussi et nous dire « c’est comme ça » ! Depuis que j’ai eu la chance de rentrer dans la sphère monarchiste de l’Action française un jour d’été 1980, j’ai toujours été très marqué par ce petit noyau de royalistes qui existait à l’époque, qui a grandi ensuite. Il y avait l’idée que, eh bien non, on n’accepte pas la fatalité, qu’elle soit politique, économique ou sociale ! La fameuse phrase que j’ai répétée mille fois et qui hier (ndlr : le vendredi 21 février 2025) a été prêtée à un autre par Monsieur de Villiers sur Cnews, c’est « le désespoir en politique est une sottise absolue ». Non, ce n’est pas Bernanos qui l’a prononcée, c’est bien Maurras. Bernanos a dit « l’espérance c’est le désespoir surmonté » et, après tout, les deux me vont tout à fait. Mais je dirais que « le désespoir en géopolitique est une sottise absolue », « le désespoir en économie est une sottise absolue », « le désespoir en la France, en général, est une sottise absolue ». Le désespoir, c’est l’abandon. C’est l’idée qu’on ne peut pas y arriver. Dans ces cas-là, il faut jeter au feu les livres de Sophocle, il faut jeter au feu Antigone ! Antigone c’est celle qui nous montre qu’il y a, au-delà des lois humaines, économiques, il y a toujours cette espérance, ce devoir d’espérance dont d’ailleurs l’Église a fait une vertu. Donc, soyons clair, dire qu’on ne peut rien faire, ce n’est pas le genre des royalistes sociaux, ni celui de la maison d’AF !
(à suivre)