Mon séjour aoûtien à Lancieux, sur la côte d’émeraude, est une respiration nécessaire à la veille d’une année scolaire qui s’annonce sous des auspices peu favorables : être loin de l’agitation urbaine, se promener au fil des sentiers et des côtes, reprendre pied dans le monde des souvenirs en attendant de s’en créer d’autres, lire et méditer, réfléchir aussi aux perspectives d’avenir, autant professionnelles et politiques que personnelles, voilà ce que permet un certain détachement, un « désengagement du quotidien », certes temporaire mais véritablement reposant et bienvenu.
Les nouvelles du monde m’arrivent ainsi comme « atténuées », vidées d’une part de leur charge émotionnelle, comme si l’écoulement moins rapide du temps en défaisait la violence… Le calme de ce refuge lancieutin ne signifie pas la mise à l’écart du monde mais une perception différente de ce qui m’entoure et m’atteint, et je ne m’en porte pas plus mal ! Contraint de ne me rendre sur la Toile que quelques minutes par jour (il n’y a pas de connection internet à la maison), celle-ci ne me manque pas particulièrement et cela me libère un temps certain pour « faire autre chose » comme, par exemple, regarder le beau mais déroutant (voire bien plus que cela !) film intitulé « Mr. Nobody » qui ravive mes propres interrogations sur le temps (de plus en plus prégnantes à l’approche de la cinquantaine), les choix et les sentiments, le choix des sentiments en particulier…
Peut-on vivre ainsi longtemps ? Pourquoi pas ? Mais dans notre société habituée à la rapidité, la fluidité, une sorte de nomadisme constant de la pensée et de « bougisme », le présentisme et autres aspects de la modernité contemporaine, le fait de rester ancré dans un lieu et dans un temps ralenti, de « prendre son temps » qui est pourtant aussi un moyen de mieux l’appréhender sans y penser et de le vivre sans le craindre, ce fait-là apparaît « décalé » ou « nostalgique », voire pire ! « Ce temps-là est-il bien utile ? », me demandait un peu surpris et ironique il y a quelques années un ami versé dans les affaires : cette question me choque car je conçois mal que le temps doive se résumer à « l’utilité » comme je me scandalise de ce qui est devenu une injonction, « le temps c’est de l’argent ! ». Non, non, mille fois non ! Dans mon séjour lancieutin partagé entre promenades, baignades (rares malheureusement du fait des pluies trop fréquentes et des vagues trop fortes cette semaine), lectures et écritures, je ne compte pas mon temps, je ne le mesure pas aux nombres de lignes lues ou rédigées, je ne le monnaye pas en cafés ou en journaux !
Bien sûr, lorsque je serai à nouveau professeur devant mes classes, le temps sera découpé en tranches à peu près égales de cours et il prendra une valeur monétaire lié au salaire versé en proportion des heures effectuées : mais se contenter de ce décompte horaire serait fort frustrant, autant pour les élèves que pour le passionné d’histoire que je suis, heureux de faire partager, autant que faire se peut, mes connaissances sur les thèmes abordés par les programmes et surtout au-delà… J’aime à discuter après les cours tout comme pendant les cours : le programme importe moins que la curiosité qu’il s’agit de susciter, les réflexions d’amener, les savoirs de transmettre, les idées reçues (surtout celles qui traînent dans les médias ou dans les manuels, voire les programmes eux-mêmes) de critiquer et combattre. Le temps de ma fonction et de ma passion ne s’arrête pas au son de la cloche de fin d’heure, et je ne m’interdis pas de poursuivre dans les couloirs ou sur les pelouses du lycée Hoche, voire aux tables des cafés du soir.
Je me souviens d’une page du « petit prince » de Saint-Exupéry dans laquelle il est question de pilules contre la soif qui permettent d’économiser (mais ce verbe est aussi à comprendre comme la volonté de l’économique de primer toute autre activité sociale…) plusieurs minutes par jour : quand le marchand qui les propose demande au petit prince ce qu’il voudrait faire de ce temps « économisé », celui-ci répond qu’il marchera alors doucement vers une fontaine… J’aime cette réponse !
Pour l’heure, je vais, quant à moi, marcher d’un pas léger vers le bourg, un livre sous le bras, et le nez en l’air à respirer les odeurs de la terre mouillée, de la mer moutonnée par le vent et du goémon laissé sur le sable… J’espère, ce soir, assister à un beau coucher de soleil, sans compter les minutes que je passerai à contempler les derniers rais engloutis par l’ombre liquide quand le ciel rougeoie et peu à peu se laisse recouvrir par le manteau sombre percé d’étoiles… La beauté d’un temps aux couleurs changeantes qui ne se compte plus en minutes mais se respire en admiration et en bien-être…
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