La primaire socialiste n'est qu'une étape de cette course à l'Elysée dont la finale aura lieu en mai 2012, mais elle nous rappelle que nous sommes déjà (encore et toujours, d'une certaine manière...) en campagne et que, plus nous approchons de la date fatidique, plus l'actualité française sera monopolisée par l'élection présidentielle, au risque de ne plus voir les vrais enjeux nationaux et mondiaux sur une terre qui, elle, ne cesse de tourner et, au gré des vents (parfois bien mauvais...) de la mondialisation, d'accélérer le rythme... Au risque aussi de tomber dans la démagogie et dans le déni de réalités, si fréquents (mais pas forcément obligatoires) en démocratie, qu'elle soit politique ou émotionnelle (l'une étant de plus en plus conciliable, malheureusement, avec l'autre...).
Dans l'émission « Face aux chrétiens » du jeudi 5 mai dernier (sur RCF), le communiste Pierre Laurent dénonçait, avec une certaine raison (même si les siennes ne sont pas exactement les miennes...) « le bal permanent des présidentiables » qui, selon lui, empêche le débat sur « les choses sérieuses », et il affirmait, de manière plus ambiguë, qu'il faut « supprimer l'élection présidentielle telle qu'elle est organisée », sans doute pour revenir à une élection du Chef de l'Etat par le Congrès, comme sous les IIIe et IVe Républiques, pourtant peu probantes sur le plan de l'efficacité politique !
C'est aussi la proposition de ceux qui prônent la VIe République pour « démonarchiser l'Etat » : or, c'est bien l'inverse qu'il faut faire ! Supprimer l'élection présidentielle au suffrage universel mais royaliser la magistrature suprême de l'Etat, pour libérer l'Etat lui-même de ce « bal permanent des présidentiables », soupirants fatigants de Marianne et intrigants permanents pour la conquérir.
Mais, avouons-le, cette idée de supprimer l'élection présidentielle au suffrage universel n'est guère populaire, car les électeurs accordent une grande faveur, la plus grande peut-être, à cette possibilité qu'ils ont, tous les 5 ans, de « choisir le Chef de l'Etat » entre plusieurs candidats censés représenter autant de familles politiques.
Cette formule, voulue par le fondateur de la Cinquième République pour renouer un lien fort entre le peuple et son magistrat suprême, est pourtant la cause de ce « bal permanent des présidentiables », ce côté « permanent » étant aggravé par la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans depuis le début des années 2000.
En fait, de Gaulle n'avait peut-être pas prévu (quoique...) que l'élection présidentielle au suffrage universel serait récupérée, pas forcément par des partis (dont il se méfiait et dont il craignait « le régime »), mais par des ambitieux qui, au lieu d'apparaître comme de simples « hommes de parti », mettraient ceux-ci à leur service, parfois exclusif, et « personnaliseraient la République » en s'installant à sa tête. Certes, de Gaulle personnalisait, disent certains, cette République : en fait, il l'incarnait plus encore, ce qui n'a pas exactement le même sens, parce que sa légitimité première, celle qui lui avait permis d'être « fondateur » de la nouvelle République en 1958, dépassait l'élection elle-même, dont la première au suffrage direct n'eut lieu qu'en décembre 1965 et, d'ailleurs, lui apparut fort décevante... Au point qu'il était persuadé, après son échec référendaire d'avril 1969, que « tout était foutu », ce qui ressort de certains propos qu'il tint dans son « exil intérieur » de Colombey-les-deux-églises...
A bien y regarder, de Gaulle accordait plus d'importance au principe et à la pratique du référendum qu'à l'élection présidentielle au suffrage universel elle-même : d'ailleurs, l'établissement d'une Monarchie qui aurait gardé les principaux éléments institutionnels du système qu'il avait fondé en 1958 lui semblait possible, et peut-être même souhaitable, ne serait-ce que pour pérenniser cette indépendance de l'Etat à laquelle il était si attaché et qui lui semblait fondamentale pour affronter les enjeux autant de politique intérieure que diplomatiques.
La Monarchie royale pourrait donc aussi répondre au souhait exprimé par M. Laurent d'en finir avec cette « présidentielle permanente » qui, aujourd'hui, peut gêner la bonne pratique politique de l'Etat par ce combat des chefs incessant et, parfois, indécent ! Quoi de plus simple et de plus naturel que la transmission de père en fils de la magistrature suprême de l'Etat, sans être prisonnier d'une clientèle ou maître d'un clan momentanément plus fort, électoralement parlant, qu'un autre ?
Cela n'empêche nullement les débats et les confrontations politiques, nécessaires à toute société contemporaine pour se reconnaître et se situer dans le paysage civique, mais freine les ambitions démesurées des politiciens qui, malgré toute leur puissance et tous leurs réseaux, ne pourront accéder à une « première place » qui sera, statutairement et constitutionnellement, réservé à « celui qui n'a pas été choisi et qui n'a pas choisi d'y être » mais se doit d'assumer ce que le sort, le hasard de la naissance, lui ont donné... Une garantie d'indépendance et une possibilité réelle d'être cet arbitre souverain qui, aujourd'hui, manque à la France !