Il y aurait tant à dire sur la réforme du collège défendue par Mme Vallaud-Belkacem et le gouvernement auquel elle appartient... Mais il semble que la critique de la dite-ministre et de ses dires, de ses intentions ou de ses programmes, soit un exercice, sinon interdit, du moins dangereux : l'accusation d'être un « pseudo-intellectuel », de « ne pas savoir lire » ou de commettre un acte « légèrement xénophobe », est si vite lancée à l'encontre de quiconque ose égratigner la belle favorite du gouvernement !
Cela pourrait faire sourire si ce n'était révélateur d'un état d'esprit de la République actuelle, certaine de sa raison et intolérante à celles d'autrui : ainsi, M. Valls, qui se veut le défenseur de la République absolutiste, agite-t-il dans tous les discours et débats son étendard des « valeurs de la République » tandis que son président s'en va saluer quelques clients (fort peu républicains) des pétromonarchies du Golfe et converser avec un vieux dictateur qui, en son temps, fit rêver tant d'étudiants (et d'étudiantes...) du Quartier latin avant de s'enfermer dans une retraite en survêtement qui casse un peu le mythe de l'aventurier... En fait, le discours sur la République et ses supposées valeurs (qui sont aussi celles de M. Cahuzac ou de M. Balkany) est à usage interne, franco-français, et apparaît comme la ligne de défense d'un gouvernement qui n'est, trop souvent, que le serviteur d'une oligarchie qui « prend son petit déjeuner à New-York et légifère à Bruxelles », selon la formule consacrée. Mais il est bien pratique pour diaboliser toute critique et éviter tout débat de fond !
Je dois avouer que j'ai été particulièrement choqué d'entendre Mme Vallaud-Belkacem traiter les essayistes et écrivains qui dénonçaient sa réforme et les nouveaux programmes scolaires d'histoire de collège, de « pseudo-intellectuels » : les trois qu'elle visait explicitement (mais sans doute la liste qu'elle a livrée aux médias n'était-elle pas exhaustive...) s'appellent, excusez du peu, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner et Luc Ferry, ce dernier ayant lui-même occupé le poste de ministre de l’Éducation nationale. On peut reprocher beaucoup de choses aux trois sus-cités, et combattre certaines de leurs idées (le libéralisme de Ferry, le croissancisme de Bruckner, etc.), mais il ne me viendrait pas à l'idée de les sous-estimer ou de refuser de les lire, ou de vouloir les faire taire : Mme Vallaud-Belkacem n'a ni cette timidité, ni la décence de reconnaître l'intelligence adverse, et c'est particulièrement inquiétant quand on occupe le ministère qui est le sien ! Il est vrai que l’Éducation nationale n'a jamais été autre chose, le plus souvent, que l'instrument du Pouvoir politique, comme le rappelait à l'envi Marcel Pagnol, mais j'ai encore la faiblesse de croire que l’École peut ouvrir (et qu'elle devrait le faire, même si ce n'est pas forcément le cas...) les intelligences et favoriser « la curiosité sans laquelle », selon le Maître de Martigues, « aucun savoir n'existerait »...
En tout cas, la liste des « proscrits de la République », selon M. Valls et Mme Vallaud-Belkacem, s'allonge de semaine en semaine, au-delà de la seule affaire de la réforme du collège : Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Michel Onfray, Alain de Benoist, Emmanuel Todd, etc. Va-t-on y rajouter demain Sylviane Agacinski, coupable de critiquer la GPA et d'argumenter sa position sans beaucoup d'aménité pour le « politiquement correct », et qui signe une pétition contre cette marchandisation des utérus dans Libération cette semaine (circonstance aggravante : Onfray l'a aussi signée...), ou bien Philippe Val, ancien directeur de Charlie-Hebdo et désormais pourfendeur d'une certaine Gauche de l'inculture avec des mots qui doivent effrayer Fleur Pellerin, ministre de la Culture « qui n'a pas lu un roman depuis deux ans » selon son propre aveu ?
J'ai, sur mon bureau, « Que faire ? », non pas l'ouvrage de Lénine (déjà lu, et toujours dans ma bibliothèque, à portée de la main), mais le livre du débat entre Marcel Gauchet et Alain Badiou, entre le défenseur (un peu désabusé) de la démocratie libérale et le penseur (jamais fatigué) d'une gauche radicale « néo-maoïste » : c'est un régal d'intelligence et un débat d'une grande volée, et les idées se confrontent, s'affrontent et, parfois, se mêlent ! Je ne suis ni maoïste ni libéral, et, pourtant, je fais mon miel de cet échange intellectuel, sans renier mes idées ni me rallier à l'un ou l'autre des camps. Ce débat est à l'honneur des débatteurs et de la pensée elle-même : il est aussi l'antidote à l'intolérance de la République vallsienne et à cette « défaite de l'intelligence » que représente l'esprit de la réforme de Mme Vallaud-Belkacem.
Tant qu'il y aura des hommes libres, ils penseront et discuteront, sans attendre l'autorisation de qui que ce soit, et c'est une bonne chose... Et tant pis pour la République, ses valeurs et ses séides !
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