La guerre commerciale lancée par le président Trump il y a quelques mois n’est pas une bonne nouvelle pour la France, mais elle devrait aussi (et en cela « à quelque chose malheur est bon ») forcer notre pays à changer de stratégie et, au-delà, de modèle économique, et de repenser la mondialisation et les moyens de mieux la maîtriser à défaut de la défaire complètement. J’en profite pour rappeler que la mondialisation, si elle est un fait indéniable, n’est pas forcément un bienfait et que s’y soumettre intégralement reviendrait à se démettre de toute possibilité de liberté économique et, même, nationale : la mondialisation n’est pas, en somme, une simple internationalisation des échanges de biens, de services et de personnes, ce qui est plutôt intéressant et, souvent, enrichissant (même si des rapports de domination peuvent aussi s’y faire jour) ; mais c’est bien plutôt l’imposition d’un modèle à la fois économique et idéologique (linguistique, même ?) qui fait du monde un espace qui se veut « globalisant », qui se pense comme « unique et unitaire », tout en marginalisant les nations et, évidemment, les Etats comme lieux et espaces décisionnels et décisionnaires. Le risque d’une dépossession des peuples comme entités politiques et souveraines (1), dépossession au profit des féodalités financières et économiques et des puissances impérialistes (2), n’est pas une vue de l’esprit mais bien une réalité qui, pour autant, n’est pas une fatalité si le politique, par le moyen d’un Etat fort et sûr de lui, légitime et enraciné (3), se donne les moyens et porte la volonté de préserver la maîtrise de son destin : il n’est pas certain que la République française contemporaine corresponde à cette définition nécessaire de l’Etat efficace et juste.
Le dossier du traité dit Mercosur entre l’Union européenne et les cinq pays d’Amérique latine qui forment ce marché du Mercosur, montre toute l’ambiguïté de cette mondialisation qui, après avoir été (ou s’être présentée comme) heureuse pour nos vieux pays européens et la France, devient désormais le cauchemar d’une part de nos populations, celles qui produisent quand la mondialisation semble ne privilégier que les consommateurs (dont certains appartiennent pourtant et logiquement à la première catégorie…). Dans ce dossier, la Commission européenne « veut passer en force » (4). Il apparaît pourtant que, d’une certaine manière, déjà les jeux sont faits : « Emmanuel Macron fait comme si l’accord pouvait encore être discuté alors qu’il a été signé par la présidente de la Commission européenne. A Bruxelles, on s’occupe de la mise en forme juridique de l’accord et l’on affirme qu’il n’y a plus rien à négocier » (5). En fait, l’effort du pouvoir français porte juste sur des mesures de protection et non sur la remise en cause du traité ou sa renégociation, malgré les grands discours des gouvernants et du président qui se réveillent (timidement, malgré tout) un peu tard alors que la question de ce traité est posée depuis fort longtemps. La tentative désespérée de notre pays pour empêcher la ratification et l’entrée en vigueur effective de ce traité est subordonnée au bon vouloir de nos partenaires, en particulier de l’Italie, encore hésitante : « L’Italie, grand pays agricole, émet maintenant des réserves (…). Nous pourrions donc obtenir une minorité de blocage » (4). Or, nombre de pays européens, confortés par les menaces trumpiennes sur leurs propres exportations vers les Etats-Unis et cherchant de nouveaux débouchés pour compenser les pertes attendues sur le marché nord-américain, se raccrochent à l’idée de signer un maximum de traités de libre-échange avec des ensembles régionaux, que cela soit avec le Mercosur ou en Asie orientale. La mondialisation devient (mais ne l’était-elle pas déjà ?) un piège pour les pays qui ont cru (ou fait semblant de croire) que la libre concurrence pouvait être honnête et juste ou simplement équitable… Le « doux commerce » cher à Montesquieu n’est-il qu’un leurre ? Dans le cadre d’un système qui privilégie la profitabilité au lieu de participer à la valorisation du travail bien fait, la réponse est : « sans aucun doute », et cela malgré les amortisseurs sociaux créés par l’Etat-providence en France et dans de nombreux pays européens, amortisseurs de plus en plus coûteux et usés par une pratique d’endettement public qui, désormais, les rend de moins en moins efficaces et acceptables.
Pour en revenir au traité Mercosur, il est intéressant et inquiétant de constater que les normes environnementales qui s’appliquent à nos exploitations agricoles au risque de les fragiliser voire d’entraîner leur disparition à plus ou moins brève échéance, ne seront pas, en grande partie, appliquées aux productions agricoles venues de l’autre côté de l’Atlantique… Quant à la déforestation accélérée de l’Amazonie pour accroître ces mêmes productions sud-américaines concurrentes de celles de la France et de ses voisins européens, elle est désormais « oubliée » par la Commission européenne et par une Allemagne qui, au nom même de l’écologie (sic), continue de nuire à la stratégie nucléaire de la France, pourtant beaucoup moins polluante que la production énergétique électrique (encore fortement carbonée) de cette même Allemagne : quelle hypocrisie ! Et quel malheur…
(à suivre : Quelles réponses politiques, économiques et écologiques au traité Mercosur ?)
Notes : (1) : la notion de peuple peut être comprise à plusieurs niveaux et de façons parfois fort différentes (voire antagoniques) : ici, je l’emploie comme l’ensemble des populations intégrées à une nation constituée et représentée (voire incarnée, dans certains cas) par un Etat reconnu, à la fois en interne (l’Etat-unité) et en externe (l’Etat comme acteur de la nation sur la scène internationale diplomatique). Du coup, dans ce cadre précis et rapporté au théâtre des nations d’Etat (1bis), la formule de « peuple français » est utilisée au singulier quand, dans sa réalité historique et politique, elle peut l’être au pluriel pour qualifier 1. : la composition ethno-culturelle qui peut varier d’une province à une autre (« Les peuples de France », évoqués par les rois d’avant-1789, et qui étaient au nombre de plus de soixante – 1ter), et 2. : au regard de la proposition fédéraliste des royalistes français héritiers de La Tour du Pin ou de Maurras, la nécessité de réorganisation territoriale et politique des pouvoirs…
(1bis) : Les nations d’Etat sont les nations ayant (ou se reconnaissant dans) un Etat, ce qui n’est pas forcément le cas de toutes, quand tout Etat fait ou paraît faire – à tort ou à raison – une nation ou, plus exactement, fonde et se reconnaît un peuple civique, un démos au sens grec du terme.
(1ter) : La citation de Bainville en ouverture de son Histoire de France peut synthétiser cela dans un… singulier pluriel : « Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race. C’est une nation ». Le mot composé est le rappel de cette pluralité française, aussi soulignée et valorisée par Fernand Braudel quelques décennies après Bainville.
(2) : Les Etats-Unis et la Chine peuvent être qualifiées de « puissances impérialistes », parce qu’elles cherchent à appliquer leur pouvoir régalien au-delà de leur sphère légitime et légale de souveraineté, et à imposer, de façon plus ou moins directe, leur idéologie dominante et motrice de leur action étatique et politique. Reconnaissons que l’impérialisme états-unien est largement plus avancé, ne serait-ce que parce que le modèle de société de consommation initié dès le début du XXe siècle a envahi le monde ou, plus encore, l’a forgé dans le sens qui convenait à la logique des capitalistes états-uniens : souvenons-nous que la notion de « développement » a été redéfinie par Rostow dès 1945 avec le soutien actif, intéressé et intelligent, du président Truman, successeur de Franklin D. Roosevelt à la Maison Blanche.
(3) : L’enracinement d’un Etat peut se comprendre de plusieurs manières : ici, il revêt deux formes, celle d’un enracinement historique s’appuyant sur des siècles fondateurs pour l’Etat et sa nation (avec, dans le cas particulier de la France, un Etat qui précède, fonde et forme la nation : « les rois ont fait la France »), et celle d’un enracinement politique parfois plus disputé et discuté, lié à un moment ou à une ère politique donnée (par exemple, la Cinquième République depuis 1958 qui a réussi à se pérenniser malgré des Chefs d’Etats aux idées et pratiques parfois bien différentes…). Aujourd’hui que l’enracinement républicain présente de fortes faiblesses, c’est l’enracinement historique, civilisationnel et traditionnel, qui redevient le plus probant et, sans doute, le plus nécessaire…
(4) : Annie Genevard, ministre de l’Agriculture française, citée par Anne de Guigné, Le Figaro-économie, jeudi 26 juin 2025.
(5) : Claudine Uzerche, Royaliste, 18 juin 2025.