Quelques tracteurs s’approchent de Rungis, et c’est Paris qui s’inquiète, du moins le pays légal : si l’heure n’est pas aux violences, la crainte d’un siège de Paris et de troubles aux portes des villes est bien là, prégnante, entêtante même, et les agriculteurs semblent se préparer à un long bras de fer avec le gouvernement mais, plus encore, avec Bruxelles et ses dogmes libre-échangistes et mondialistes. L’un des points de tension est le fameux accord Mercosur, défendu par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et par nombre des pays de l’UE, aussi peu soucieux de la préservation de l’Amazonie qu’ils le sont de l’agriculture française : malgré le souhait fortement exprimé du président Emmanuel Macron de ne pas donner suite, aujourd’hui, au projet de traité, les négociateurs européens n’ont pas vraiment interrompu les discussions avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), certains eurocrates de l’UE expliquant même qu’ils espéraient que l’accord serait signé avant les prochaines élections européennes du mois de juin.
Or, les mêmes autorités de l’Union européenne imposent des normes environnementales aux producteurs européens et français qui, parfois, sont bien déconnectées des réalités naturelles et écologiques (en particulier sur les dates autorisées de semis et de plantation, soumises à un calendrier administratif quand cela devrait être la nature qui impose son rythme…) et qui désarment nos agriculteurs sans leur donner les moyens de la réussite ou d’une nouvelle orientation plus écologique (1), et dans le même temps elles ferment les yeux sur les destructions environnementales massives au Brésil ou dans les autres pays du Mercosur. Des destructions qui ont de fortes chances (et malchances, donc, pour les écosystèmes locaux) de s’aggraver encore une fois le traité Mercosur signé, les pays d’Amérique du Sud privilégiant alors leur économie et leur développement au détriment de l’écologie, en arguant, évidemment, de la « demande » européenne ; cette fameuse demande européenne qui sera surtout celle des grands groupes agro-alimentaires et de distribution mondialisés (et de leurs actionnaires), plus encore que des consommateurs eux-mêmes qu’ils appâteront simplement avec des prix bas forcément attractifs dans une société de consommation qui ne s’intéresse, par principe, qu’aux besoins (suscités plus encore que réels) de ceux-ci…
Le traité Mercosur (avec ses importations de maïs brésilien, entre autres) est une catastrophe écologique tout autant qu’alimentaire et sanitaire, ce que souligne sans démagogie Emmanuelle Ducros dans L’Opinion (2) en se référant aux propos de Céline Duroc, directrice générale de l’AGPM Maïz’Europe (qui représente les producteurs français et européens de maïs) : « Il est inadmissible de créer en Amérique du Sud des problèmes environnementaux supplémentaires avec ces importations (…). Il [le maïs] est produit dans le Mato Grosso ou le Cerrado, où il gagne sur les aires naturelles. Ces régions ne sont pas incluses dans le règlement déforestation de l’Union européenne. Ce qui signifie que l’on pourra détruire davantage de savane sèche dans le Cerrado pour faire du maïs à destination de l’Europe, et que personne ne le saura ici, faute de traçabilité imposée. C’est moins spectaculaire que l’Amazonie, cela reste une destruction de biotope sauvage ». Effectivement, où est la préoccupation écologique européenne dans l’acceptation d’un tel traité écocide ? Il ne me semble pas avoir entendu Mme Von der Leyen s’en inquiéter, ni aucun des membres d’une Commission plus mondialisée que véritablement européenne ou soucieuse des intérêts des Européens…
C’est aussi un mauvais coup porté contre la santé des consommateurs européens, déjà de plus en plus dépourvus, malgré les progrès médicaux des dernières décennies, d’une offre de soins suffisante ou appropriée aux populations du continent, comme le démontrent à l’envi les déserts médicaux et l’absence récurrente de certains médicaments produits hors de l’Europe (UE et autres pays du continent) : « Une étude réalisée par l’AGPM, sur le point d’être publiée, rappelle que le maïs brésilien est quasi exclusivement OGM. Pire, sur les 178 phytosanitaires autorisés sur la culture au Brésil et en Argentine, 92 (…) sont interdits en Europe, car risqués pour la santé et l’environnement. (…)
« Cette part est encore plus élevée à l’échelle de la France : 138 substances actives sur les 178 autorisées au Brésil et en Argentine y sont interdites. Dans la liste, l’atrazine, un herbicide nocif pour l’homme et toxique pour l’environnement, interdit depuis 2003. « Les néonicotinoïdes, prohibés chez nous, sont utilisés comme des produits de routine, explique Céline Duroc. La seule chose que l’Europe impose à l’heure actuelle est une détection de seuils de résidus. Cela ne sert à rien : on n’en trouve jamais avec les néonicotinoïdes utilisés en enrobage de semences. » (3) » On mesure là toute l’hypocrisie d’une Union européenne qui se targue d’écologie et de pratiques vertueuses, et accepte pourtant des autres, et sans protester, tout ce qu’elle interdit, à juste titre pour les produits phytosanitaires dangereux, sur son territoire de nations ! Ainsi, le libre-échange, vanté par nombre de néolibéraux, s’avère, non seulement un marché de dupes pour les Français et autres Européens, mais comme un risque sanitaire et un péril écologique pour tous.
Olaf Scholz, chancelier d’une Allemagne fort peu écologique malgré la présence de quelques Grünen dans son gouvernement, est favorable au traité Mercosur, contre l’avis de M. Macron : qui, dans ce débat-là engageant aussi l’avenir d’un grand nombre de nos cultivateurs et éleveurs, l’emportera ? Le fait que l’on se pose la question tout en en supposant la réponse montre là encore la duplicité et la dangerosité d’une Union qui n’est qu’un aspect et un vecteur de la mondialisation néolibérale, et non l’instance préservatrice des Européens qu’elle prétendait être à ses lointaines et bien brumeuses origines… De ce fait-là, il faudra bien, un jour, tirer des conclusions qui, en somme, autoriseraient la réactivation pleine et assumée des nations indépendantes et responsables, non pour le service de quelques uns mais pour celui de tous…
Notes : (1) : Une orientation plus écologique, quand elle ne l’est pas déjà, d’ailleurs, chez nombre d’agriculteurs français qui ont heureusement adopté, ou conservé, des attitudes naturellement écologiques, respectueuses de l’environnement et du cycle des saisons.
(2) : Emmanuelle Ducros, L’Opinion, mardi 30 janvier 2024.
(3) : Emmanuelle Ducros, op. cité.
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