Voici la première partie d’un article qui en compte deux, et qui est publié en février et mars dans la revue royaliste Le Bien Commun : il porte sur la démographie française et les risques du fléchissement de la fécondité en France, mais, fidèle à la citation de Georges Bernanos, « L’espérance, c’est le désespoir surmonté », il ne s’arrête pas au constat, et propose, en sa deuxième partie, quelques pistes de réflexion et de proposition pour « un nouveau printemps démographique ». Sur icelles, le débat est ouvert !
Cet hiver démographique qui menace la France…
Réfléchir sur la question sociale, c’est aussi se pencher sur la démographie française sans méconnaître celle des autres pays et continents, et en appréhender les grands aspects et les perspectives dans un monde qui semble peut-être plus incertain parce que la France paraît moins forte, moins assurée face à des puissances que l’on dit, par facilité plus que par discernement, nouvelles (1). Là encore, il importe de signaler que, bien que le fait principal de la natalité échappe largement et naturellement au politique, il n’en est pas pour autant totalement indépendant : si l’acte de procréer n’est pas, Dieu merci !, le fait ou l’obligation de l’Etat, les raisons qui peuvent soutenir ou, au contraire, dissuader la natalité, sont bien liés à la politique étatique générale, au-delà même du contexte et des simples conditions économiques. La démographie est, en fait, éminemment politique ! De plus, il s’agit de ne pas en limiter l’étude aux seuls taux de fécondité, natalité et mortalité, mais de l’étendre aux aspects et effets migratoires, internes comme externes, sujets parfois considérés de façon polémique parce qu’ils peuvent toucher à l’essence même de la nation et de son unité (2).
Cela fait déjà plusieurs années que le taux de fécondité française (nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer) ne cesse de diminuer, passant de presque 2,1 au milieu des années 2010 à 1,8 environ aujourd’hui, et ce n’est pas une bonne nouvelle pour notre pays, comme le souligne d’ailleurs L’Opinion il y a quelques jours (3), dans un article qu’il convient de méditer comme de rappeler à nos dirigeants comme à nos concitoyens : la démographie, c’est bien plus que des naissances et des morts, des chiffres et des statistiques, des slogans ou des haussements d’épaules. En fait, l’histoire comme l’avenir d’une nation se lisent, fortement, dans sa propre démographie et, qui voudrait l’oublier pourrait bien en payer un prix très lourd, comme les siècles passés nous l’ont abondamment démontré. Non que la démographie soit le « tout » de la puissance, même si Jean Bodin affirmait qu’il « n’est de richesses que d’hommes », mais elle en est l’une des marques comme l’un des moyens, sinon suffisant, du moins souvent déterminant : si la France a pu « tenir » lors des guerres révolutionnaires des années 1790 et vaincre souvent lors des impériales, c’est parce que les régimes qui se succédaient, dans le bruit et la fureur, ont pu puiser (4) dans le vivier français que la Monarchie déchue avait largement contribué à constituer dans les deux derniers siècles de l’Ancien Régime (5). Ce qui a perdu Napoléon 1er, au-delà de son hubris personnelle, c’est de n’avoir pas saisi que la population française était déjà entrée dans la seconde phase de la transition démographique entamée sous le roi Louis XV, et que ce vivier, sans s’assécher déjà, n’avait plus la même capacité à se refaire : la fameuse citation napoléonienne « Une nuit de Paris réparera cela » au soir d’une victoire trop chèrement payée en vies humaines, montre bien la mauvaise perception que l’empereur a des nouvelles données démographiques du pays et du fléchissement des naissances qui, en définitive, annonce l’épuisement de la France, l’entrée, non pas dans un hiver, mais dans une fatigue démographique qui marquera le XIXe siècle dans l’hexagone.
Or, la situation contemporaine des berceaux français renoue avec celle d’un XIXe siècle qui, en définitive, ne nous fût pas vraiment favorable, historiquement et politiquement, et annonçait les désastres de la première moitié du XXe : « La démographie est, au côté de la transition écologique et de la révolution numérique, l’un des principaux défis que la France aura à relever dans le prochain quart de siècle. Le constat est pour l’heure inquiétant : le nombre de naissances est au plus bas depuis 1945.
« C’est le cas depuis 2020, mais la chute continue. Pire, elle s’accélère. Après une érosion de 2,2% en 2022, les derniers chiffres publiés jeudi par l’Insee font état d’un recul en novembre pour le 17e mois consécutif, avec une baisse de près de 7% des naissances sur onze mois. Le millésime 2023 terminera sous la barre des 700 000 nouveau-nés, contre près de 800 000 il y a dix ans. » Ces lignes de L’Opinion, alarmistes à raison, doivent faire réfléchir, en particulier ceux qui ont en charge les affaires de l’Etat, la pérennité de la nation et la valorisation nécessaire de ses atouts : « Les classes vont se vider de 500 000 élèves entre 2022 et 2027 » (6), ce qui va se traduire, concrètement, par la fermeture de nombreux établissements scolaires mais aussi la disparition de nombreux emplois dans et autour du secteur purement éducatif (7). Cela pose aussi un problème pour le financement des retraites : « la France va continuer de vieillir avec toujours moins d’actifs pour financer les pensions des inactifs. Les plus de 65 ans représentaient une personne sur huit en 1960, ils sont plus d’une sur cinq aujourd’hui », ce qui peut expliquer que, selon des calculs récents, il y aurait désormais seulement 1,4 actif pour une personne à la retraite quand il y en avait environ 4 pour une en 1945… Concrètement, cela risque bien de condamner l’actuel système de solidarité intergénérationnelle (la retraite par répartition) à moyen terme ! Cela nous incite un peu plus encore à réfléchir à d’autres modes de financement et de distribution des retraites, et le modèle « corporatif » lié à certaines professions libérales (qui disposent de leur propres caisses de retraites, qu’elles financent elles-mêmes) mériterait toute notre attention alors que la République ne pense qu’à mettre la main sur le « trésor » de celles-ci, rappelant cette spoliation des corporations pratiquée par le libéral Turgot (libéral, mais avec l’argent des autres, en fait…) au milieu des années 1770, spoliation qui sera renouvelée et légalisée par les lois d’Allarde et Le Chapelier de 1791…
Cette baisse inquiétante (mais il s’agit plus encore d’une chute que d’un déclin lent et serein…) de la fécondité et de la natalité en France risque, si elle se poursuit au rythme actuel, d’entraîner une diminution de la population française dans moins de vingt ans, d’autant plus que notre pays connaît une émigration qui n’est guère moins préoccupante et dont les médias comme les politiques parlent peu alors qu’elle est, dans ses proportions et ses formes actuelles, un vrai problème, et pas seulement démographique ! « Deux millions de personnes nées en France seraient installées à l’étranger selon les dernières statistiques de 2019 des Nations unies, alors qu’ils n’étaient, en 2009, que 1,5 million. (…) Le nombre des départs a oscillé entre 100 000 et 120 000 par an entre 2014 et 2018, selon l’OCDE, contre environ 80 000 entre 2006 et 2010. » (8)
Sans oublier la pression démographique des populations d’origine étrangère sur notre propre société et ses références culturelles comme historiques, à l’heure où le modèle d’intégration « à la française » paraît moins efficace car moins attractif et plus fragile, moins sûr de lui : ce doute qui s’est emparé de la nation française est, si l’on y prend garde, un risque mortel pour la pérennité et la liberté même de la France et de sa civilisation historique…
(à suivre)
Notes : (1) : Ces puissances sont-elles, effectivement, si nouvelles que cela ? La Chine, pour prendre cet exemple, a jadis été une grande puissance, avant le siècle industriel et conquérant européen. De plus, qualifiées de puissances émergentes il y a quelques décennies, il s’agit de réactualiser la lecture du monde contemporain et de constater que, aujourd’hui, certaines de celles-ci sont très largement émergées quand les pays occidentaux paraissent de plus en plus en voie d’être des puissances immergées, noyées sous des dettes publiques parfois impressionnantes et, plus encore, par une dépendance aux matières premières situées ailleurs que sur leurs territoires et par une mondialisation financière et économique qui néglige les producteurs de base pour ne valoriser que les consommateurs et les féodalités mondialisées (Firmes Transnationales ; Classes dominantes ne parlant que de gouvernance pour mieux écarter le politique et les Etats ; …).
(2) : J’emploie à dessein le mot d’unité plutôt que celui d’identité, dont le sens renvoie à une forme d’uniformité d’être (une forme de jacobinisme issu de la Révolution française et de son égalitarisme niveleur et anhistorique ?) quand l’unité renvoie plutôt à l’idée d’une clé de voûte institutionnelle et politique soucieuse de concilier les différents éléments enracinés de la pluralité française. N’est-ce pas par son « provençalisme » que Maurras est arrivé au nationalisme français, fédéraliste et, pour le rendre plus efficace et convaincant, intégral ?
(3) : L’Opinion, 5-6 janvier 2024, sous la plume de Raphaël Legendre.
(4) : Cela s’est fait sans beaucoup de mesure, d’ailleurs, et souvent contre l’avis des populations, au point de soulever les provinces de l’Ouest en 1793 contre la République belliciste…
(5) : La France royale était appelée, au XVIIIe siècle, « la Chine de l’Europe » : de 20 millions environ de Français en 1710 (après la grande crise climatique des années 1708-1709 qui aurait coûté la vie à environ 600 à 700.000 Français selon les comptes les moins pessimistes), elle est passée à 27, voire peut-être 28 millions en 1789, soit une augmentation d’environ 40 % de la population en trois générations. Il n’est pas inutile de rappeler que, durant ce laps de temps, le royaume de France est la première grande puissance européenne à sortir du cycle des famines et à entamer, dès le règne de Louis XV, la transition démographique, au point que le taux de natalité commence à baisser avant même le règne de Louis XVI…
(6) : La ville de Paris constate aujourd’hui les effets de la décrue démographique qui, dans la capitale, se marque par le départ définitif d’environ 12 400 habitants par an entre 2014 et 2020, un mouvement qui ne semble pas se démentir ces dernières années : cela se traduit par la fermeture annoncée pour la rentrée de 2024 de 125 classes dans le premier degré, et a conduit, à la rentrée 2023, à la suppression de 155 postes d’enseignants dans le primaire et de 182 postes en collèges et lycées, en attendant que, d’année en année, cela continue à se répercuter, de plus en plus lourdement, sur tous les niveaux supérieurs, et au-delà des collèges et lycées, aux universités et classes préparatoires. Mais certains murmurent, dans les couloirs du Ministère de l’éducation nationale (nouvelle version, avec Sports et Jeux Olympiques…), que cela va « résoudre » (sic !) en partie la question du recrutement des enseignants…
(7) : La fermeture d’une école primaire dans une commune rurale ou périphérique entraîne souvent la disparition de tout un écosystème de village ou de quartier : le café-restaurant d’à côté, les quelques emplois non-enseignants nécessaires au fonctionnement de l’école, les solidarités de voisinage et le cœur même, parfois, de la commune, certaines familles devant déménager pour se rapprocher des lieux d’enseignement de leurs enfants. Tout cela contribue ainsi à la dévitalisation du monde rural qui, aussi, se sent de plus en plus délaissé et méprisé alors qu’il participe, à travers ses habitants, au financement de services qui, pourtant, ne leur sont plus rendus…
(8) : Le Figaro, 8 janvier 2024, sous la plume d’Anne de Guigné.