Aujourd’hui, malgré les efforts des militants monarchistes de toutes tendances, le royalisme semble presqu’invisible aux yeux de nos contemporains, baignés dans l’ambiance distractionnaire de la société de consommation, jadis rebaptisée (avec une certaine prescience) “consom-nation” par Louis Pauwels.
Cela se traduit par une marginalisation évidente dans le paysage politique français, aujourd’hui monopolisé par les tenants du “tout démocratique” et du “politiquement correct”. Cette situation gêne la perception des idées royalistes, trop souvent limitée, dans l’esprit de nos concitoyens, à quelques mondanités ou à des anecdotes, mélanges d’activisme et de folklore...
Nécessité pour la nation
Pourtant, au moment où la Ve République doit affronter les défis de la globalisation et de la logique globalitaire (néolibéralisme, idéologie consumériste, démocratisme élitaire...), au moment où les intelligences les plus vives ressentent un “malaise de civilisation” (prémisses d’une crise ?), l’idée d’une instauration monarchique, si elle apparaît certes lointaine (autant dans le passé que pour l’avenir), doit revenir dans le champ des possibles : la monarchie, au regard des données politiques et institutionnelles actuelles, reste (et sans doute, de manière plus précise, redevient) nécessaire pour notre nation aujourd’hui moins sûre d’elle-même et fragilisée par des forces externes (diplomatie états-unienne, règlementarisme européen...) et internes (ethno-nationalismes séparatistes, communautarisme religieux ou sociologiques,...)
La Ve République pensait avoir résolu le problème des institutions en “monarchisant” la République (hommage du vice à la vertu, diraient certains...) mais cette monarchie incomplète qui, en fait, semble plutôt avoir été, du temps du général De Gaulle, une forme française de “monocratie”, est aujourd’hui largement remise en cause par les diverses réformes constitutionnelles de ces dernières années, mais aussi par les diverses cohabitations qui se sont succédé depuis 1986 (trois en quinze ans).
Quand nous évoquons la “monarchie nécessaire” nous la définissons d’abord comme un pouvoir “héréditaire” ou, plus justement successible, résumé par la formule traditionnelle Le roi est mort, vive le Roi. Comme le souligne Daniel de Montplaisir dans son ouvrage récent La Monarchie, « au regard de l’institution royale, l’hérédité constitue le mode normal d’accession au trône mais non au sens d’héritage patrimonial. Certains légistes considéraient que la Couronne n’était pas vraiment héréditaire mais plutôt statutaire. Car l’héritier la recueille selon la loi et ne peut en disposer à sa guise » (1).
Échapper au “choix”
Ce mode de succession apparaît comme la règle la plus simple, filiale et familiale, mais elle est difficile à faire admettre ou, simplement, à faire comprendre aujourd’hui où tout semble devoir être soumis à un “choix” (“pourquoi lui et pas moi ?”, “il faut choisir le meilleur” etc..) Sans doute est-ce une résultante de l’individualisme de masse, distillé et conforté par la démocratie marchande, dont Bernanos disait qu’elle était le meilleur instrument du capitalisme anonyme et anarchique.
N’hésitons pas à aller à contre-courant des idées reçues et des conformismes : l’hérédité est, non seulement le symbole, mais aussi le principe fort et actif de la Monarchie “à la française”. Ainsi, par cette succession institutionnelle du père au fils, la plus simple qui soit, le Roi, et l’État qu’il incarne le temps de son règne, échappent au “choix” : le roi n’a pas choisi de l’être, comme il n’a pas choisi de naître là, à un moment donné, fils de roi, donc appelé, statutairement, mécaniquement et naturellement, à ceindre, un jour, la couronne. Cela ne lui donne pas de droits mais lui fixe des devoirs, dont le premier est d’assumer sa charge monarchique, le jour venu.
Ce mode de succession a donc quelques forts arguments à faire valoir. Roland Mousnier mettait en avant l’argument historique : « L’hérédité n’a jamais produit une succession de rois aussi médiocres que celle des présidents de la IIIe République française (à une ou deux exceptions près), ce qui s’est terminé par l’effondrement de juin 1940, la plus grande catastrophe de l’histoire de France » (2).
La notion de service
Paul Vaute, à la suite de Gustave Thibon, avance des arguments plus psychologiques : « Le Roi est, en quelque sorte, consubstantiel à l’État [...] La monarchie gardienne des réalités humaines, repose sur la plus humaine des réalités : “Cette réalité que chacun peut constater, suggère Philippe du Puy de Clinchamps, est qu’il est du propre de l’homme, à de très rares exceptions près, de désirer transmettre à ses fils un héritage non seulement conservé, mais encore enrichi et mieux adapté aux nouvelles conditions posées par le temps qui a coulé [...] De cette évidence très charnelle découlent toutes les lois non écrites du royalisme” (3) » (4).
Il apparaît donc que la notion de “service” est au cur même de la Monarchie royale, par le principe même de la succession héréditaire. Jean Jaurès évoquait, en une formule abrupte, mais en définitive réaliste et, tout compte fait, avantageuse, « l’égoïsme » royal qui forçait le roi à agir dans le sens de l’intérêt public et national.
Visage humain
Mais cela veut-il signifier que le monarque est toujours à la hauteur de sa charge ? Cela serait présomptueux et le royalisme n’est pas un charlatanisme électoral ou une “idéologie de la perfection” de l’homme nouveau et parfait, “total”... La monarchie est au contraire la reconnaissance, la prise en compte et parfois la pratique même des insuffisances humaines. L’homme est faillible, et le roi, comme tout homme, l’est, et il sait que les autres le sont : “il fait avec”, comme dit la formule. Il ne cherche pas à forger comme les totalitarismes ou les utopismes, un homme idéal ou, même, un monde idéal, il agit dans le sens de l’intérêt général, au-delà des particularismes et des individualismes et il ne peut que conserver l’humilité devant la nature et les faiblesses des personnes.
Un autre avantage de la succession héréditaire de la Couronne, c’est son caractère d’”anti-compétition”, comme le souligne Paul Vaute : « Une personne mais aussi un couple, des enfants, une dynastie dont le pouvoir n’est pas le fruit d’une lutte politique, qui n’a pas été fabriquée par l’état-major d’un parti, qui n’a pas percé à grands coups de marketing, qui ne peut être identifiée à un groupe social, un milieu culturel ou une région, qui défend en tout et toujours le bien commun : tel est le Roi. Il n’est pas nécessairement parfait nul ne l’est mais il n’est pas un parvenu. Il offre un visage humain bien nécessaire, indispensable même, à ces monstres froids que sont devenus les États dans le monde contem- porain » (5).
Détaché, de par son principe même, des contingences électorales, l’État royal préserve sa liberté d’action au sommet des institutions et, donc, peut au mieux assumer son rôle arbitral et s’imposer, pacifiquement, à tous comme garant suprême de la loi et des libertés publiques. Souvenons-nous de ce jour de février 1981 où le roi Juan Carlos, seul face à la caméra, son fils, le prince héritier, non loin de lui, en un discours d’une petite minute, a su désamorcer le coup d’État fomenté par des activistes militaires. S’il avait été l’élu d’un camp contre un autre, sa parole aurait-elle eu le même poids et le même impact ? On peut sérieusement en douter ! D’autres exemples, plus récents, en Thaïlande, au Maroc ou en Jordanie, confirment ce caractère d’”arbitrage suprême” de la monarchie, fût-elle elle-même “constitutionnelle”.
Un État “dégraissé”
De plus dans le cadre d’une “Monarchie active”, celle que Charles Maurras n’a cessé d’appeler de ses vux et celle qui nous apparaît comme le moyen d’un équilibre institutionnel viable, le Roi apparaît comme l’incarnation d’un État libre, non pas étatiste, mais souverain et “allégé” d’un certain nombre de tâches rendues aux régions, aux administrations ou aux forces économiques.
Cet État “dégraissé”, « cet État aux chairs fermes », selon l’expression du sociologue Eric Denmat, s’avère alors la meilleure incarnation politique de la nation et de son unité.
Alors qu’en République, fût-elle “monarchique”, la décentralisation n’est pas toujours contrôlée au mieux et devient le “tremplin des féodaux”, elle trouve en la monarchie un État fédérateur, point d’unité et d’ancrage des régions à la nation et garantie des libertés provinciales. Alors que la République craint les États dans l’État, la monarchie, véritable trait-d’union entre les communautés de la nation, n’hésite pas à libérer les énergies et, surtout, à les ordonner pour l’intérêt commun.
Par la succession héréditaire, la monarchie inscrit son uvre dans la durée et permet une politique à long terme. Elle accompagne le temps sans le dépasser, elle en fait un allié quand la République use les gouvernements et les présidences en quelques années... Cette maîtrise politique du temps assure ainsi la possibilité du renouvellement du personnel dirigeant, sans rupture brutale, comme on peut le constater aujourd’hui dans les monarchies marocaine ou jordanienne, par exemple.
D’autre part, la succession, le plus souvent prévisible par la simple connaissance des règles de succession du royaume, permet la préparation du futur souverain au “métier de roi”. Quand en République, les politiciens s’épuisent à conquérir le pouvoir, le futur roi, en monarchie, s’occupe à apprendre son métier, l’esprit libre et sans nécessité de manuvre...
Prendre son temps
Dans un monde de plus en plus “pressé”, la monarchie offrirait à notre temps l’avantage de “pouvoir prendre son temps”. Elle rendrait aussi au Politique (aujourd’hui écrasé par l’Économique) sa dignité et son efficacité, sa fonction d’assurer la sûreté, la justice et les libertés. Sans être une solution miracle, elle permettrait à la France, puissance moyenne mais d’influence et d’équilibre, de retrouver les moyens de sa politique et le temps nécessaire pour l’assumer...
Reste à “faire la Monarchie”, tâche rude mais devant laquelle toute personne soucieuse de l’unité française et des libertés publiques ne peut s’abstenir. Conquérir peu à peu le “champ des possibles” commence par un travail humble de réflexion et d’action, par le service des autres et la diffusion des idées royalistes.
Et ne perdons pas de vue les Princes qui incarnent, non pas nos seules espérances, mais celles des générations françaises à venir...
Jean-Philippe Chauvin
(1) Daniel de Montplaisir : La Monarchie. Éd. Le Cavalier Bleu, 128 p, 2003.
(2) Roland Mousnier : Monarchies et royautés de la préhistoire à nos jours. Librairie académique Perrin, Paris,1989.
(3) Philippe du Puy de Clinchamps : Le Royalisme. Presses universitaires de France (Que Sais-je ?) n° 1259, 1967
(4) Paul Vaute : Voie royale. Éditions Mols (Belgique), 1998.
(5) Paul Vaute, Ibidem.