Depuis quelques mois, il n'est question (ou presque...) que de la montée des communautarismes dans notre pays, c'est-à-dire de la fragmentation de la nation en groupes communautaires survalorisant leurs propres identités et ne reconnaissant plus, de par cette logique de survalorisation, la communauté qui est censée les reconnaître et les surplomber, c'est-à-dire la communauté nationale. La "hiérarchie brisée" entraîne ainsi une "communautarisation" des comportements qui gêne la compréhension et le dialogue pourtant nécessaires au sein de notre pays.
L'assassinat d'Ilan Halimi et ses répercussions, en particulier la manifestation du dimanche 26 février (évoquée par "Le Monde" comme une manifestation "de fait" communautaire malgré les intentions des organisateurs), ont joué un rôle de révélateur, et les articles, les dossiers, les émissions sur ce thème ont été nombreux tout au long de la semaine.
Jean-François Kahn, dans "Marianne" du 4-10 mars, résume l'inquiétude devant la "tentation communautaire", que dénoncent depuis longtemps dans leurs livres Pierre-André Taguieff et Joseph Macé-Scaron (ce dernier a d'ailleurs écrit un livre portant ce titre au début des années 2000). Il est de fortes phrases qu'il faut citer, sans néanmoins s'en contenter : "Que se passe-t-il donc ? Cela, qu'il convient de regarder bien en face : désormais, les juifs s'émeuvent du sort des juifs, les musulmans du sort des musulmans, les Noirs du sort des Noirs, et point barre. Le repli sur soi exclut l'autre. L'homme qui, un temps, déambula, est redevenu plante : il s'enchaîne à ses racines. Exige qu'on les arrose chaque matin. Il se colle lui-même sur le front une carte d'identité. L'universalisme, réduit à son trognon, s'abîme dans le communautarisme, le racialisme, le tribalisme. Le "nous" n'est plus qu'une extension collective du "moi".
(...) Le "nous" s'affirme de plus en plus "par" et "dans" la haine du "eux". Je "suis" en rejetant ce qui n'"est" pas de la même façon que "moi". Ou, plus grave, nous ne pensons plus qu'"entre nous", donc nous sommes. "L'ensemble", au sens du "tous ensemble", ne renvoie plus à une même aspiration, mais à un même ennemi".
Jean-François Kahn rattache cette situation à l'idéologie et à la dynamique de la "globalisation néolibérale", que je nommerai plutôt, en élargissant la définition et en la faisant remonter aux "Lumières" (cf "L'invention du Progrès" de Frédéric Rouvillois, livre fondamental paru dans les années 1990), du mot de "globalitarisme", terme que j'avais lancé en 1990 lors d'un "cercle d'études" royaliste à Rennes, terme aujourd'hui utilisé par Ignacio Ramonet et Paul Virilio.
Face à ce péril communautariste, qui risque de détruire l'idée même, pourtant nécessaire, de "communautés" (c'est "l'abus de communautés" qui est dangereux, pas l'existence de celles-ci : ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain...), la solution n'est pas, évidemment, de jouer les communautés (ou les civilisations) les unes contre les autres, mais de raviver "l'esprit de nation", de rappeler que la nation est la médiation nécessaire entre les hommes, les communautés, et l'universel, "les autres".
Ouvrant le livre "La raison des nations" de Pierre Manent, livre acheté ce matin même à Parly-2, je trouve les phrases suivantes qu'il faut, me semble-t-il, méditer : "Une forme politique - la nation, la cité -, ce n'est pas un léger vêtement que l'on peut prendre et déposer à volonté en restant ce que l'on est. Elle est ce Tout dans lequel tous les éléments de notre vie se rassemblent et prennent sens. Si notre nation disparaissait soudainement, et que ce qu'elle tient ensemble se dispersât, chacun de nous deviendrait à l'instant un monstre pour lui-même. Ceux qui se croient le plus émancipés de leur nation vivent encore très largement de sa fécondité".
La France a la chance d'être une nation historique, construite par l'Etat capétien et continuée, parfois maladroitement et trop "jacobinement", par les Républiques; elle n'est pas une nation "ethnique" ou simplement "linguistique". Il me semble prudent de ne pas gâcher cette chance...
c'est triste, mais c'est un peu dans la logique des choses.
les politiques ont laissés tomber le peuple, il est normal dans ce contexte trés difficile que les gens se retranchent derriere leurs communautés la au moins, ils se sentent à l'abri. les gouvernements de droite comme de gauche sont tous responsable de cette monté en puissance de haine et de racisme entre les gens.
Ce pays est en ruine, l'Europe est en ruine, il faut réagir vite avant que le fanatisme ne l'emporte ( qu'il soit religieu ou politique et de tous bord...de droite comme de gauche, de l'islam ou de tout autre religion).
Rédigé par : wolf | 04 mars 2006 à 19:15
Certes, mais il ne faut pas perdre l'espérance. Je pense que la "redécouverte" de la nation qui s'opère aujourd'hui peut permettre de limiter les excès des communautarismes et des extrêmismes, en rappelant, parfois vivement, que la parole se doit d'être une "médiation" (certes parfois "confrontation", mais n'est-ce pas le principe du débat?) entre les personnes, et les groupes.
Le combat contre les fanatismes passe aussi par la reconquête de l'espace public par l'esprit de discussion et de liberté: la nation est le cadre privilégié de cette "agora publique". J'en reparlerai sans doute bientôt dans une prochaine note.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 04 mars 2006 à 19:38
très intéressant. Remarque: on nous fait croire que le communautarisme à l'anglaise fonctionne, mais le replis frileux sur soi est un danger qu'il ne s'agit pas d'exporter.
Sans être melting potiste (ça ne marche pas non plus), je crois à l'idée d'intégration qui suppose un respect (laïc, j'allais dire religieux) des différences et une connaissance des devoirs de chacun. C'est ce que répêtent certains politiques, sans doute pas avec les bons mots, les bonnes méthodes, à moins qu'ils n'appliquent pas ce qu'ils disent...
j'ai l'impression qu'il y a déjà de la chasse au voix...
En revanche, contrairement à Wolf, je ne mettrais pas tout le monde dans le même panier... Il y a une propension du français à rester lui aussi frileusement chez lui à raler, qu'il aille se frotter au monde... il verra que son pays n'est pas en ruine...
Rédigé par : Acrerune | 04 mars 2006 à 19:39
Il faut garder à l'esprit que le communautarisme, que l'auteur définit comme une "extension collective du moi", n'est, principalement, qu'un réflexe de conservation du moi.
Parmi ceux qui partagent les mêmes caractéristiques et "définitions" que vous (origine, milieu social, acceptation commune de la société, opinions politiques et couscous du dimanche), l'être humain est en sécurité.
Le communautarisme n'est pas un phénomène nouveau inhérent à nos sociétés - il est évident qu'il a toujours existé, et que prétendre que l'être humain qui "déambulait" est "redevenu plante" n'est qu'une manifestation de ce syndrome de l'illusion rétrospective, qui, outre la vision de Robespierre avec sa tête sous le bras, nous fais croire que tous les Japonais du XVIeme étaient Samourais et que la seule activité des Hollandais sous la renaissance était l'imprimerie.
Alléguer que d'autres époques ont connu une fin du communautarisme, comme il est péjorativement appelé aujourd'hui, ou plutôt du réflexe de solidarisation par identité, est totalement risible. L'humanité a très probablement survécu par le communautarisme, qui a permis le développement de l'individu à travers l'esprit du groupe.
La communauté apporte à l'être humain tout ce qui fait ses désirs de base :
_ Sécurité
_ Satisfaction des besoins de base, en théorie; la communauté vivant de ses habitants, ceux ci sont aidé par la communauté afin qu'ils l'aide eux-même.
_ Satisfaction des besoins de reproduction de l'éspèce : la communauté apporte le vecteur de reproduction sous la forme du mariage.
_ Structuration de la vie, et possibilité de survivre en étant vieux.
Le communautarisme est ce qui a différencié l'être humain tel que nous le supportons à longueur de journée de celui qui courait dans les bois. S'il y a jamais couru. Le communautarisme a apporté l'élément primordial et fondamental du développement humain, c'est à dire la culture.
Ca, c'est le concept des tribus... Ca existe depuis toujours. Ensuite, il est vrai que la société moderne a quelque peu bouleversé ce concept...
La création de communautés à grande échelle, sous la forme notamment de pays, n'a absolument pas éliminé les communautés de plus petite taille. Au contraire, tout en leur fournissant des "cadre" qui astreignait leur développement, elles ont favorisé leur perennité; les communauté se sont donc élargies à l'intérieur même d'un ensemble de communauté plus grand encore. On a parlé de classes sociales... Ces classes sociales, ou communautés géantes, étaient régies par le mouvement internes de communautés, elle même divisées... Cette verticalité hiérarchique aboutit au concept de famille.
On a pensé depuis Marx, et même encore beaucoup aujourd'hui aujourd'hui (Aron : "Personne n'a jamais nié la lutte des classes.."; mais il n'a pas connu la théorie de la fin de l'histoire) que la lutte des classes était le moteur de l'histoire.
Cette conception trouve un argument justement dans le fait que le communautarisme est une vérité intemporelle... Quoi qu'il en soit, le communautarisme, qui prodigue, comme vous le citez justement, , ce communautarisme a été en quelque sorte à l'origine de tous les grand mouvements sociaux. La volonté de conservation des intérêts humains traduite dans les évolutions sociales des siècles récents se vérifie par la volonté de conservation d'un communautarisme à grande échelle, à l'échelle du pays; les contestations, protestations, concurrences diverses à l'intérieur du pays sont causées par les volontés de conservation des communautés à une échelle plus réduites. Et ainsi de suite sur une échelle verticale descendante, allant jusqu'au disputes de voisinage.
Ainsi, le communautarisme, bien loin d'avoir été noyé par les inventions sociales récentes, comme le semble dire la phrase qui veut que l'homme aie déambulé et se soit depuis légumifié, les a peut-être au contraire motivées. Ainsi, la cité qui, selon Manent, ne doit pas être "un manteau" que l'on jette ou dont on se couvre, cette cité qui est dans notre cas la nation n'est qu'une extension des divers communautarisme, luttant à plus grande echelle contre d'autres communautarisme géants. Une lutte à lieu à chaque echelle : à l'echelle de l'ensemble (Amérique - Europe - Asie, par exemple), à l'échelle du pays (France-Pologne, par exemple) à l'échelle intra-nationale (luttes entre partis) et ainsi de suite. Si des extra terrestres débarquaient, le monde s'unifierait certainement pour leur mettre sur la gueule.
Donc, je pense que parler de "réapparition des communautarismes est une conception fausse, dans le cadre d'une société qui n'est en fait qu'un ensemble de luttes à différentes echelles, entre différents ensembles de communautarismes... Tout au plus un renforcement des scissions entre communautarisme à l'echelle du pays ou nous vivons, peut-être?
Bon, j'éspère avoir était à peu près clair... La problème de l'ordi, c'est quon' voit pas ce qu'on tape. D'où difficultés d'organisation.
Rédigé par : Hugo | 04 mars 2006 à 22:23
Les commentaires sur cette note sont très intéressants: j'y répondrai par une note prochaine. Cela peut être aussi l'occasion d'un prochain café politique. Je reviendrai, pour répondre à Hugo, sur la définition de communauté et sur celle de communautarisme. Je distinguerai aussi entre communauté "de fait" et communauté "de choix", souvent qualifiée "de substitution".
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 06 mars 2006 à 14:51