Je suis en train de lire le (gros) ouvrage sur l’histoire de la diplomatie française publié en 2005 et qui va sans doute devenir un « classique » au regard du sérieux et de la notoriété de ses auteurs (comme Lucien Bély, spécialiste de l’Ancien régime, ou Maurice Vaïsse, connu aussi pour son livre sur la politique étrangère gaullienne intitulée « La grandeur ») : j’y apprends beaucoup, même si certaines analyses, en particulier pour le XXe siècle, me paraissent parfois hasardeuses, voire critiquables*.
Même impression à la lecture de la présentation de Dominique de Villepin qui ouvre ce livre : mais cette préface éclaire utilement la pensée de l’actuel premier ministre, jadis brillant ministre des Affaires étrangères et capable de susciter un véritable engouement pour la diplomatie française lors du débat de 2003 sur l’Irak.
Ce qui frappe dans les propos de Dominique de Villepin, c’est la contradiction entre une posture gaullienne et une aspiration « européiste » qui lui fait préférer l’idéologue Aristide Briand au réaliste Jacques Bainville à la sortie de la Première guerre mondiale. Briand est vanté comme l’apôtre de la paix, celui qui incarne l’avenir européen, et Villepin semble en oublier les conséquences en privilégiant le rêve sur les réalités de l’époque. Pourquoi néglige-t-il la fameuse formule du général de Gaulle : « on ne fait pas de politique en dehors des réalités » qui s’applique aussi à la diplomatie ? A lire Villepin, j’ai l’impression qu’il est un romantique plus qu’un politique : cela n’est pas sans charme, et le panache du personnage est sympathique, mais n’est-ce pas, à plus ou moins long terme, une attitude peu viable ?
J’ai aussi l’impression que Villepin voit en « l’Europe » la continuation de l’histoire de France, et qu’il la pressent comme l’aboutissement de l’idéal révolutionnaire né des Lumières, tout en admirant, et en prétendant poursuivre et renouveler l’effort du général de Gaulle pour garantir une indépendance diplomatique à l’égard des grandes puissances contemporaines, en particulier les Etats-Unis.
Néanmoins, il est animé d’une vraie foi en la diplomatie comme moyen de garantir la paix souhaitable et nécessaire entre les communautés humaines, qu’elles soient nationales ou identitaires (ou les deux à la fois
), et sa plume semble parfois « l’épée de la parole » que les Français attendent depuis l’époque gaullienne. Mais je doute que les partisans de l’Union européenne partagent ce goût pour l’aventure et la liberté, comme l’ont bien montré la crise irakienne et les critiques à l’égard de la diplomatie française considérée comme « trop française » et pas assez atlantiste
Dominique de Villepin pourrait être le Vergennes de notre temps mais le temps électoral de la République quinquennale ne lui a laissé que le temps de se brûler les ailes au phare des illusions.
Le meilleur conseil que l’on puisse donner à Villepin, c’est d’abandonner ce romantisme qui lui gâte le raisonnement : cela n’empêche pas le panache (et c’est tant mieux) mais préserve de l’illusion
*Je compte bien en reparler prochainement de façon plus approfondie car le débat n’est pas seulement historique, il est aussi, fondamentalement, politique et engage même sur la vision que l’on peut avoir sur le devenir de notre pays dans ce monde mouvant, voire instable, qui est aussi le nôtre aujourd’hui.
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