Aujourd’hui, la simple évocation du mot « libéralisme » provoque des réactions plus passionnelles que raisonnées : les uns y voient la cause de tous nos malheurs, les autres la solution aux blocages de notre société ou, plus simplement, l’expression politique et économique de la « Liberté ». J’entends les uns et les autres, et il me semble nécessaire de préciser quel sens je donne à ce terme quand il m’arrive de l’employer, cela pour éviter des malentendus sur ce que je pense, malentendus qui peuvent gêner le bon déroulement des débats.
Si l’on s’en tient à la définition classique, le libéralisme est la théorie, politique et/ou économique, qui place la Liberté au principe de tout et, en particulier, de la vie individuelle comme sociale. En somme, elle peut s’entendre comme une forme d’individualisme étendue à toutes les activités humaines. En fait, dans la réalité, la théorie est souvent « aménagée », limitée même par les données historiques, politiques, économiques et, tout simplement, humaines. Et les penseurs libéraux les plus intéressants (comme Tocqueville ou Aron), d’ailleurs, sont fort conscients des ambiguïtés de cette idéologie mais aussi de la simple évocation du terme
Cela étant dit, je reste plus que réservé à l’égard du libéralisme et je fais miennes les critiques que Maurras avance dans le court texte souvent reproduit : « Libéralisme et libertés », dans lequel il s’en prend au libéralisme au nom des libertés plurielles, en particulier dans le domaine économique : « Dans l’ordre économique, la liberté-principe veut que la concurrence des libertés individuelles, d’où le bien doit sortir inévitablement, soit uvre sacrée. Il n’y a qu’à laisser faire et à laisser passer. Toute intervention de l’Etat ou de la société mérite le nom d’attentat et presque de profanation. Le statut du travailleur doit donc être individuel. Autant par respect pour sa liberté propre que par vénération de la mécanique du monde, l’ouvrier doit respecter les injonctions du décret Le Chapelier et s’interdire sévèrement toute association, corporation, fédération, tout syndicat d’ordre professionnel, de nature à troubler le libre jeu de l’offre et de la demande, le libre échange du salaire et du travail. Tant pis si le marchand de travail est un millionnaire maître absolu du choix entre 10 000 ouvriers : liberté, liberté ! La liberté économique aboutit donc, par une déduction rapide, à la célèbre liberté de mourir de faim. J’oserais l’appeler une liberté négative, abstraite ; mieux : une liberté soustraite. Toute liberté réelle, toute liberté pratique, tout pouvoir libre et certain de conserver sa vie, de soutenir sa force, est refusé à l’ouvrier tant qu’on lui refuse la liberté d’association. » Cette analyse reste d’une étonnante actualité comme me le signalait il y a peu un ami revenant de Chine et ayant vu « l’envers du décor » de la croissance chinoise, et comme on peut aussi le lire dans le livre de Philippe Cohen et Luc Richard (dont je conseille vivement la lecture) « La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? ». Cela ne veut pas dire que je sois pour le dirigisme d’Etat ou l’étatisme, véritable tyrannie de l’Etat sur la société et ses citoyens, mais je reste attaché au rôle d’un Etat capable de corriger les excès de l’économie et de garantir les libertés et les droits des travailleurs (comme celles des entreprises, d'ailleurs), qu’ils soient salariés ou indépendants. En somme, je suis pour un juste équilibre entre la libre initiative et l’action protectrice de l’Etat quand elle s’avère, en dernier recours, nécessaire.
Aujourd'hui d'ailleurs, c'est surtout l'ultra-libéralisme qui, en poussant les principes du libéralisme théorique à ses conséquences les plus extrêmes (comme on le constate avec le cas chinois), serait la cible de l'ire maurrassienne. En somme, a contrario, le libéralisme que dénonçait Maurras vers 1900 semble s'être modéré ou nuancé, principalement dans nos pays d'Europe... Mais il n'en est rien dans les pays actuellement en plein décollage de croissance ou, plutôt, en plein rattrapage des nations ayant déjà vécu leur "révolution industrielle" au XIXe siècle...
Pour ce qui est du libéralisme politique, sans doute serai-je moins sévère que Maurras à l’égard, non pas tellement du libéralisme proprement dit que de certains penseurs libéraux, ou considérés tels, qu’ils s’agissent des monarchiens de 1789 (partisans de la Monarchie constitutionnelle, voire parlementaire) ou de Constant, Tocqueville, Aron, ou Pierre Manent, un « libéral-conservateur » contemporain fort intéressant. Cela ne signifie pas que je sois tocquevillien ou aronien, mais seulement que je considère que leur pensée ouvre quelques perspectives qui méritent attention et débat.
Il est, en particulier, une question que François Huguenin aborde dans son livre « Le conservatisme impossible » paru il y a quelques mois et qui me semble très intéressante, c’est celle du dialogue (inachevé ou manqué ?) entre les « traditionalistes » et les « libéraux » en France, et, question annexe à laquelle il n’est pas encore répondu, celle d’une synthèse (possible ou impossible ?) entre l’Etat monarchique fort et les aspirations libérales
En somme, la « Monarchie aronienne »
D'ailleurs dans "le conservatisme impossible", on cite Aron disant que la monarchie est le seul gouvernement où l'interet d'une famille va de paire avec l'interet de l'Etat et de la Nation.
Rédigé par : Partisan blanc | 10 septembre 2006 à 11:30
Mouais...
Je constate que vous mêler encore des choses qui n'ont rien à voir avec le libéralisme. Notamment avec le cas chinois qui pousserait la logique libérale jusqu'à son terme (ce qui est faux). L'extrait de Maurras est daté et parle d'une disposition législative (le decret Chapelier) qui est manifestement une intrusion étatique dans le fonctionnement de l'économie et qui, pour cette raison, ne peut qu'être abusivement qualifiée de libérale...
L'objectif du decret Chapelier était certes une libéralisation du système économique en défaisant le système corporatiste étouffant du XVIIIe s. Mais, ici comme en Chine, nous voyons ce qui sépare libéralisation et libéralisme. La première ne permet pas d'atteindre le second si elle est mal comprise et mal menée.
Il est évident que Maurras ne comprend pas bien ce dont il parle, car l'association des travailleurs n'est pas de nature à troubler le jeu de l'offre et de la demande fixant les salaires. Cette idée est une erreur d'analyse que des auteurs libéraux ont pu faire (personne n'est parfait) mais que la logique libérale réprouve. Tout libéral conséquent et honnête y verra là, au contraire, une salutaire arme permettant aux travailleurs de défendre leurs intérêts face aux employeurs. Ce que Maurras considère à juste titre.
De toute manière, une économie libre *ne peut pas* interdire à des travailleurs de s'associer entre eux en syndicats ou en corporations. Car cette alliance découle des libertés fondamentales d'association, de manifestation et d'expression. C'est ce qu'avait bien compris l'économiste et député libéral Frédéric Bastiat (1801-1850) qui avait lutté en son temps pour la reconnaissance des syndicats en France, bien avant que le Second Empire, puis la IIIe République, ne reconnaissent le droit de syndicalisation. Mais sans doute Maurras ne connaissait-il pas Bastiat...
Au registre des penseurs libéraux, il est dommage qui vous vous limitiez à Tocqueville (qui soutint la colonisation de l'Algérie d'une façon à faire rougir tout libéral qui se respecte) et à Aron.
Je n'essaie pas de m'ériger en censeur vigilant dont l'objectif serait d'anéantir toute conception divergente de la mienne. Toutefois, le libéralisme est une doctrine réelle : on ne peut lui faire dire tout et n'importe quoi. Et ce, même si des penseurs libéraux ont pu commettre des erreurs d'analyse et de logique.
Rédigé par : Aton WAGNER | 10 septembre 2006 à 20:05
Au registre des penseurs libéraux, il est dommage qui vous vous limitiez à Tocqueville (qui soutint la colonisation de l'Algérie d'une façon à faire rougir tout libéral qui se respecte)
Je réagis juste à ça...
Encore une histoire d'illusion rétrospective : c'est Robespierre avec sa tête sous le bras.
Tout le monde était pour, à l'époque. Maintenant, tout le monde est contre. Juste une question d'époque, et le libéralisme n'a rien à voir avec ça. L'humanisme était, simplement, plus limité à l'époque...
Rédigé par : Hugo | 10 septembre 2006 à 20:26
@Hugo:
Un courant anticolonialiste a toujours existé, et notamment chez les libéraux.Ainsi,Benjamin Constant écrivait « Les vraies colonies d'un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. »
En fait, un des exposés les plus reconnus, je crois, des thèses libérales("liberteriennes" serait moins ambigu) est le livre de Murray Rothbard: "L' éthique de la liberté". Bon, après, on est pas forcément d' accord...
@Anton: ;) Et j' attends ta note sur Maurras. :)
Rédigé par : Pentagramme | 10 septembre 2006 à 21:57
"libertariennes", pardon.
Rédigé par : Pentagramme | 10 septembre 2006 à 22:18
Je relève juste votre dernière phrase :
"En tout cas, je comprends l'indignation de quelques penseurs libéraux contre la dictature chinoise mais il me semble qu'ils sont bien isolés, y compris dans le "camp libéral".
Plus prosaïquement, je ne suis pas loin de penser que chat échaudé craint l'eau froide et que la Chine étant un tel noeud de complexité, les "savants" qui nous ont prédit ci et ça depuis la volte-face de Deng Xiao Ping, se sont noyés dans leurs simplifications et se méfient.
Les JO de 2008 sont vraiment le truc du gouvernement central, mais cela déborde peu pour le moment. Hors de Pékin, les Chinois ont d'autres tracas, et à Pékin quand ils pensent aux Jeux, c'est d'abord pour redouter les mesures de rattrapage d'un inévitable retard.
Le test d'économie politique n'est jamais évoqué.
Rédigé par : Catoneo | 11 septembre 2006 à 11:25
@ Hugo : non, tout le monde n'était pas pour la colonisation de l'Algérie... Et si, le libéralisme a à y faire, car on aurait pu attendre de Tocqueville une plus grande clairevoyance sur le sujet... Ses conceptions constituent un recul par rapport à celles des révolutionnaires de 1789...
@ M. Chauvin : Rothbard, Milton Friedman et son fils David Friedman, Pascal Salin, H.H. Hoppe, Hayek, von Mises, B. Lemménicier, J.-L. Caccomo...
Mais ce n'est pas le plus important. Car, en réalité, la plupart des auteurs libéraux s'est montrée incohérente à un moment ou à un autre. Et des débats parfois violents secouent le microcosme libéral.
Ce qu'il faut retenir, c'est la logique du libéralisme, telle qu'elle se dégage de l'ensemble des travaux libéraux. C'est cette tendance de fond qui permet de juger de l'intégrité d'une oeuvre.
Tocqueville a apporté d'intéressantes contributions que je serais mal avisé de nier. Mais il a aussi soutenu des politiques absolument inhumaines. Ce que je ne voudrais pas, c'est qu'on qualifie ces politiques de libérales sous prétexte qu'elles ont été prônées et défendues par des libéraux. Voici le fond de mes interventions.
Torquémada, est-ce le catholicisme ? Telle est la question, et je pense que l'on peut dire non, sans se montrer trop partisan.
Les lois de libéralisation économique décidées à la Révolution étaient nécessaires mais incomplètes. Car sans doute que les législateurs n'entrevoyaient pas réellement la nécessité d'aller plus loin encore, la révolution industrielle étant encore balbutiante en France. La faute, c'est d'avoir maintenu incomplet ce processus de libéralisation, en n'accordant que très tardivement le droit aux ouvriers de faire grève et de créer des syndicats, alors que la réalité socio-économique avait radicalement changé. Là, nous avons un cas flagrant de détournement du libéralisme au profit d'un conservatisme social détestable. Encore ajourd'hui, la pensée libérale souffre de l'image qui lui a été ainsi faite, nos discussions le montrent.
Comme je l'ai écrit, on ne peut interdire les coalitions ouvrières car elles découlent naturellement et logiquement des droits d'association, de manifestation et d'expression, qui sont des libertés naturelles que la tradition libérale a justement contribué à faire reconnaître ("reconnaître", ce mot à toute son importance...).
La seule vraie position libérale sur le sujet (c'est-à-dire la seule qui soit cohérente avec elle-même), c'est celle de F. Bastiat.
Au fond la recette est simple : là où la liberté est injustement bafouée, alors là n'est pas le libéralisme. Point à la ligne.
@ Pentagramme : ouais ouais, ça vient...
Rédigé par : Anton WAGNER | 11 septembre 2006 à 19:58
- Il y a, je crois, le libéralisme doctrine et pratique et l'idéologie libérale. Il n'existe pas (et il n'existera jamais) d'économie tout à fait libérale. Les USA et la GB n'ont pas une économie libérale. Les pouvoirs publics de ces deux pays interviennent toujours massivement (et naturellement). Seuls les gogos l'imaginent ! Français, je crois que nous devons être pragmatiques et placer notre intérêt national avant tout. Questions de bon sens ! Mais il faut le rappeler. Depuis quelques décennies, les libéraux pensent comme hier les socialistes. Le libéralisme idéologique a pris la place du socialisme idéologique !
Rédigé par : Périclés | 12 septembre 2006 à 18:19
"Il y a, je crois, le libéralisme doctrine et pratique et l'idéologie libérale"
Sophistique.
"Il n'existe pas (et il n'existera jamais) d'économie tout à fait libérale"
Etes-vous devin ?
"Les USA et la GB n'ont pas une économie libérale. Les pouvoirs publics de ces deux pays interviennent toujours massivement (et naturellement). Seuls les gogos l'imaginent !"
C'est l'évidence même. Ces pays sont simplement plus libéraux que la France qui, elle-même, l'est plus que la Corée du Nord.
"nous devons être pragmatiques et placer notre intérêt national avant tout"
Pardon, je ne sais ce qu'est l'intérêt national. Et il n'est pas interdit de vouloir penser différemment.
"Depuis quelques décennies, les libéraux pensent comme hier les socialistes."
Je ne saisis pas bien.
"Le libéralisme idéologique a pris la place du socialisme idéologique !"
Pof pof pof. (On notera cette différence que le libéralisme ne soulève pas les foules là où le socialisme a ainsi excusé les pires massacres...)
Rédigé par : Anton WAGNER | 12 septembre 2006 à 19:11
Même si je ne poste presque plus, je lis régulièrement, et vos notes gagnent en profondeur et en interet... Je vauis essayer e participer plus souvent;
Rédigé par : Clément | 12 septembre 2006 à 21:07
le libéralisme , est un tèrme qui a beaucoup libèrtés .
Rédigé par : un chouka | 15 septembre 2006 à 10:58