Depuis quelques mois, la question environnementale s’est invitée dans la campagne électorale, à travers les déclarations du très médiatique Nicolas Hulot, nouvelle coqueluche des Français après Zidane et l’Abbé Pierre, et son fameux pacte écologique. Mais sans doute, au-delà du système de la « société du spectacle », répond-il aussi à une véritable attente, ou angoisse, de nos concitoyens devant des événements ou des questions sociétales. Sans doute est-il plus un révélateur qu’un « avertisseur »
En effet, l’état des lieux de la planète n’est guère rassurant : au-delà du célèbre « réchauffement climatique » qui condamne les Inuits comme les ours blancs, ce sont bien plutôt les dérèglements, les automnes trop chauds ou les tempêtes plus fréquentes, qui marquent la population. Mais il faudrait aussi évoquer, parmi les dangers annoncés et déjà menaçants, les attaques des sociétés humaines contre la biodiversité et le pillage des ressources, animales comme végétales ou minérales, de la planète ; la déforestation de l’Amazonie ou des forêts d’Afrique ; les diverses pollutions qui affectent l’air, l’eau ou les littoraux ; l’anthropisation trop rapide de zones jusque là préservées ; etc.
Plus proches de nous apparaissent le grignotage des campagnes par une rurbanisation souvent anarchique ; le bétonnage des littoraux ; la multiplication des routes et autoroutes au détriment des voies de chemin de fer et des terres agricoles ; la pollution des nappes phréatiques et l’invasion des algues vertes près des côtes ; etc. En somme, l’angoisse écologique se décline au « global » comme au « local »
Cela étant, cette crainte n’est pas forcément nouvelle et elle a, même, toujours existé : sans doute était-ce de façon marginale à l’époque des industrialisations des pays européens, quand la nature paraissait capable de « tout donner, tout supporter ». Mais cela n’empêchait pas, malgré le scientisme et l’enthousiasme autour du « Progrès », véritable mythe actif du XIXe siècle (il suffit de relire Victor Hugo pour s’en convaincre), les critiques et les avertissements de quelques penseurs ou écrivains qui, confusément, devinaient que l’orgueil scientifique des hommes pouvaient bien, quelque jour, se retourner contre l’humanité toute entière, qu’il s’agisse de sa vie ou de son âme. D’autres (et parfois les mêmes) s’inquiétaient des dégradations que la frénésie industrielle entraînait pour les villes comme pour les corps, qu’il s’agisse du marxiste Jack London ou du royaliste Paul Bourget. Sans oublier les pages très prophétiques de Georges Bernanos dans l’ouvrage « La France contre les robots », véritable manifeste de colère contre une société de plus en plus mécanique et consumériste, et si oublieuse, en définitive, du respect dû aux hommes et à leur être.
Néanmoins, malgré la forte poussée des appétits humains, en particulier depuis que la société de consommation, au terme d’une véritable révolution copernicienne, a inscrit la formule « Consommer pour produire » à ses frontons sous le beau nom trompeur de « croissance », les Etats ne se sont pas totalement désintéressés des conséquences d’une exploitation abusive des ressources et de la dégradation des environnements liée à l’explosion sans pareille de la démographie mondiale et, par là même, du nombre de consommateurs nouveaux, forcément plus exigeants que ceux des générations précédentes. Ainsi, sous le président Georges Pompidou, pourtant attaché à la théorie de « la ville pour la voiture » et fervent de la « société industrielle », a été créé un ministère consacré à l’environnement qui répondait, non seulement à l’esprit de l’après-68, désireux d’une sorte de « retour à la terre » régionaliste, mais à sa propre réflexion sur le sujet, résumé dans ses lignes prononcées à Chicago, le 28 février 1970 : « L’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’elle comporte un risque de destruction de la nature elle-même. Il est frappant de constater qu’au moment où s’accumulent et se diffusent de plus en plus de biens de consommation, ce sont les biens élémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l’air et l’eau, qui commencent à faire défaut ». Evidemment, cela n’a pas été suffisant pour résoudre les problèmes posés à l’environnement dans notre pays, et cela n’a pas empêché, malgré la crise pétrolière de 1973 en définitive vite « intégrée » à la société de consommation, les gaspillages de se poursuivre, voire de s’intensifier, jusqu’à nos jours. Comment pourrait-il en aller autrement dans ce monde qui, de plus en plus individualiste, ne supporte plus d’autre contrainte que celle de la « dépendance volontaire » à la consommation, toujours alimentée par des « nouveautés » vite présentées comme des « nécessités » absolues
Arrive-t-on, dans notre société française, à la fin d’un cycle, celui du « toujours plus » ? En tout cas, nos contemporains, au moins dans les mots, semblent prendre conscience des enjeux liés à l’environnement : le discours médiatique actuel, relayé par un Nicolas Hulot devenu écologiste (il ne l’a pas toujours été, mais son évolution n’en est que plus intéressante et caractéristique d’un changement perceptible, aussi, dans l’opinion publique), semble répondre au « désir d’écologie », aujourd’hui plus visible, peut-être plus lisible et plus compréhensible malgré les manuvres politiciennes des Verts, écologistes autoproclamés mais pas forcément logiques avec les idées qu’ils sont censés défendre
Le « souci environnemental », s’il se libère du joug partisan des Verts, ne peut pour autant s’abstraire du politique, car il est, en fait, éminemment politique par essence même : comme le souligne Charles Mathieu dans un article fort important paru dans la revue « Une certaine idée » en 2001, « la question de l’environnement renvoie tout uniment à la prise en compte de l’intérêt général, c’est-à-dire au politique. La préservation de l’environnement est une idée qui relève du politique et du rôle des Etats, dans la mesure où il s’agit, en fin de compte, de préserver l’idée de bien commun non pas face au progrès et à la technique, mais contre les idéologies qui privilégient les intérêts particuliers et les systèmes qui sacrifient délibérément l’homme à la logique marchande ». Ainsi, toute politique de l’environnement passe par une réflexion politique, non seulement sur ce qu’il faut mettre en uvre et en place pour répondre aux problèmes environnementaux, mais sur les institutions qui peuvent assurer et garantir cette action et sa pérennité, son efficacité.
L’ancien ministre de l’écologie, Serge Lepeltier, écrivait dans cette même revue des lignes qui peuvent éclairer utilement la réflexion : « Le président de la République, Jacques Chirac, l’a souligné : « En matière d’environnement, exigence rime désormais avec urgence. »
Il faut donc agir vite, d’autant plus vite que le réchauffement climatique renvoie à une gestion du temps tout à fait inhabituelle en matière de décisions politiques. Une molécule de gaz carbonique, le principal gaz à effet de serre, a une durée de vie dans l’atmosphère de cent ans.
Ainsi, l’évolution du climat que nous connaissons aujourd’hui, avec ses conséquences en matière de catastrophes naturelles, est vraisemblablement due à l’industrialisation du XIXe siècle. De même, la plupart de nos décisions d’aujourd’hui ne porteront seulement leurs fruits qu’au XXIIe siècle.
Mais la grandeur du politique n’est-elle pas de vouloir s’extraire de la dictature de l’éphémère, pour s’atteler à la sauvegarde de l’environnement des générations futures ? ». Il est à noter que M. Lepeltier, aussi lucide soit-il, n’a pu, lors de son passage au gouvernement de la République, que constater son impuissance à faire passer son message écologiste au-delà des simples déclarations d’intention
Il n’y aura évidemment pas de politique prenant en compte le souci environnemental sans enracinement de l’Etat dans le « temps long » et sans autonomie de la décision politique à l’égard des sphères économiques et financières, voire politiciennes. L’écologie doit se penser en termes de générations et de continuité dans la dynamique politique, comme le souligne M. Lepeltier : or, quel Etat peut répondre à ces exigences, à ces « urgentes exigences » ? La République, et c’est d’ailleurs son principal problème, malgré toute la bonne volonté de ceux qui la servent, est beaucoup trop dépendante, de par le caractère électif de ses institutions d’Etat, de l’Opinion et de ceux qui la font, les groupes financiers et économiques : ceux-ci, plus attachés à faire des affaires que de penser aux conséquences sur le long terme de leur stratégie actionnariale ou entreprenariale, auront tendance, à moins de développer une nouvelle pratique de la récupération et du recyclage (ce qui n’est pas, à long terme, impossible, mais sans doute faut-il une impulsion extérieure à leur propre sphère), à privilégier le court terme et leurs intérêts particuliers. A moins de développer une sorte de « populisme écologiste » qui risquerait, en définitive, de se retourner contre la nécessaire écologie, la République est bien incapable d’incarner le souci environnemental.
C’est sans doute le privilège d’un Etat qui se prolonge, au-delà de la personne même de son magistrat suprême, par la « suite dynastique », de pouvoir incarner, assumer ce souci environnemental, pas forcément populaire en tous ses aspects mais toujours nécessaire, ne serait-ce que pour les générations qui nous suivent. « L’écologie d’Etat » peut trouver en la Monarchie royale sa meilleure définition et action. Dans le cadre d’une « Instauration royale », la Monarchie n’aura guère le choix si elle veut se redonner une légitimité pour les générations futures : ce qui apparaissait hier comme une question subsidiaire, sera l’élément majeur d’une politique qui n’aura pas renoncé à remplir son rôle de direction et de protection pour la société nationale.
D’autre part, comme le soulignait récemment Nicolas Hulot avec beaucoup de justesse, la France, en donnant l’impulsion et l’exemple d’une politique environnementale audacieuse, serait plus à même de peser sur les décisions d’autres Etats encore hésitants en ce domaine. Elle retrouverait, par là même, une position d’avant-garde dans un monde conscient, de plus en plus, de sa fragilité. Et la terre mérite bien cet effort demandé à notre génération, pour préserver celles à qui nous devons l’avenir