Le thème de la « nouvelle pauvreté », apparu sous l’ère Mitterrand, connaît de multiples prolongements et applications en ces années 2000, et le problème des mal-logés et des SDF est là pour le rappeler à qui aurait oublié que, malgré tous les progrès techniques, agricoles et alimentaires, il est encore, dans notre société d’abondance, des personnes qui se retrouvent déclassées et privées des moyens d’une vie digne et décente. Mais il y a aussi l’inquiétant sentiment d’insécurité sociale qui mine le moral de notre pays : d’après un sondage récent d’une association caritative (la fondation Emmaüs, je crois), un Français sur deux craint de tomber dans la pauvreté
Un Français sur deux ! Bien sûr, de la crainte à la réalité il y a une marge importante, mais il ne faut pas négliger le poids de la peur et de l’angoisse dans les réactions du corps social et, donc, électoral : n’a-t-on pas affirmé que c’était le sentiment de l’insécurité, rapporté au domaine de la tranquillité publique, de « l’ordre », qui avait entraîné le surprenant résultat électoral du 21 avril 2002 ?
Dans le même temps, la Bourse triomphe après une fructueuse année 2006, et de grands patrons français, plusieurs fois millionnaires, se font accorder des augmentations de salaires de plus de 15 % tandis, qu’au même moment, les mêmes refusent d’augmenter les salaires de leurs ouvriers, quand ils ne délocalisent pas, tout simplement, pour faire des « marges » plus importantes, ce qui enchantent les actionnaires, peu inspirés par la question sociale
Sans tomber dans la caricature style Arlette Laguiller, il y a de quoi s’indigner : comment peut-on accepter de pareilles injustices ? J’ai bien écrit « injustices » et non pas seulement « inégalités » : il est de « justes inégalités » qui prennent en compte le parcours professionnel, les capacités et les initiatives de chacun, et il n’est pas forcément choquant qu’un patron qui crée du travail et de l’emploi dans le respect de ses salariés soit grassement rémunéré au regard des bénéfices qu’il apporte ainsi à toute la société de son pays. Mais les inégalités de traitement deviennent injustices lorsqu’elles tombent dans « l’hubris », c’est-à-dire dans l’outrance, et qu’elles se font au détriment de la dignité des travailleurs et du respect des règles sociales élémentaires.
D’ailleurs, ces injustices nourrissent les ressentiments et peuvent se traduire par des colères terribles, comme l’Histoire l’a souvent démontré, des colères souvent aisément manipulables et qui se trompent parfois de « cibles », entraînant de plus grands malheurs encore : après tout, les « totalitarismes abrupts » du XXe siècle n’en sont-ils pas les plus frappantes et choquantes illustrations ?
Aussi, il me semble qu’il est grand temps que l’Etat, en France, reprenne son rôle régalien pour faire entendre raison à des financiers, des grands patrons ou des actionnaires qui oublient la simple et élémentaire solidarité à l’égard des « petits » et de la société française. Si la République n’ose pas incarner la nécessaire justice sociale, qu’elle laisse donc la place à un nouveau régime qui, par la position arbitrale et décisionnelle de sa magistrature suprême, saura faire respecter les droits de tous à la dignité et au respect : la « main de justice » du Roi de France n’en sera-t-elle pas alors le meilleur symbole ?