Les propos de Ségolène Royal sur le drapeau tricolore ont jeté un certain trouble chez les militants socialistes, comme j’ai pu le constater sur le marché de Versailles dimanche matin : au point d’engendrer une certaine schizophrénie chez ceux-ci qui se voient désormais reprocher de soutenir un discours nationaliste
La peur du tricolore a remplacé la peur du rouge, dirait-on
En tout cas, il me semble que, si cela peut apparaître comme un rappel symbolique de l’importance de la nation (au moment même où l’on célébrait le Traité de Rome : doit-on y voir une bonne blague du conseiller Chevènement ?) et de sa nécessité, y compris sentimentale, cela ne remplace pas le nécessaire « nationalisme d’Etat », c’est-à-dire cette incarnation de la nation, dans son histoire comme dans sa diversité présente, territoriale, humaine et sociale, par l’Etat et, plus exactement, par la magistrature suprême de celui-ci. Contrairement à ce que dit Mme Royal, le nationalisme n’est pas à opposer à la nation, mais il ne doit pas devenir une idéologie « unitariste » qui nierait les différences et verserait dans un « totalitarisme de la nation » tel que le jacobinisme a pu le pratiquer maladroitement dans les années de la Révolution. Il ne doit pas être un chauvinisme cocardier qui ne serait que la pitoyable caricature de l’attachement normal, filial, à la communauté historique et politique que forme la nation.
Ce nationalisme d’Etat, que Maurras voudra « intégral » en l’incarnant par la famille royale, doit être « la mesure » et non « l’hubris » : il ne s’agit pas de se poser en s’opposant mais de s’affirmer comme nation libre pour mieux être au monde et permettre une alternative aux modèles dominants qui, aujourd’hui, néglige le Politique pour mieux s’abandonner à l’Economique dans une sorte de « geste fataliste ». Le nationalisme d’Etat n’est pas « exclusion », il est « inclusion » par son surplomb des particularités, surplomb qui n’est pas écrasement ou indifférence mais possibilité forte de l’arbitrage et symbole actif de l’unité sans laquelle il n’est pas de libertés publiques, fussent-elles locales ou professionnelles.
Que l’Etat « soit l’Etat », qu’il remplisse son devoir d’Etat, qu’il soit le trait d’union entre les différents temps et espaces, entre les individus et les communautés, entre les personnes et les générations qui forment l’être de la France ! Lundi soir, sur la radio RTL, l’essayiste Joseph Macé-Scaron expliquait fort judicieusement qu’« une nation parle d’identité quand elle est en perte de souveraineté » : encore faut-il, pour éviter les pièges de l’identitarisme, penser la souveraineté même de l’Etat et sa nécessaire indépendance qui conditionne toutes les autres libertés publiques
Voilà ce que doit être, à mes yeux, ce « nationalisme d’Etat » qui préfère la paix et la liberté aux grandes aventures furieuses des « nationalitarismes » nés de ce funeste et belligène « principe des nationalités », ce principe qui a armé le bras de Gavrilo Prinzip, un certain 28 juin 1914, à Sarajevo
Deux questions pour te titiller, sinon ce n'est pas drôle :
1. La conception "inclusive" de la nation dont tu parles à propos de Maurras me semble un peu spécieuse, s'agissant de quelqu'un qui a passé sa vie à dénoncer certaines communautés que l'histoire de France a, bon gré mal gré, attaché au destin de notre pays.
2. La conception traditionnaliste "communautaire" (corps intermédiaires, communautés naturelles...) est-elle la plus adaptée à notre temps, caractérisé par la déliquescence de ce qui transcende ces communautés et forge le sentiment commun de l'appartenance nationale?
Rédigé par : yffic | 27 mars 2007 à 19:56
Bonnes questions à laquelle il me paraît intéressant de répondre dans une prochaine note: 1. le "nationalisme d'inclusion" est une réponse à la nouvelle problématique de la mondialisation et au "néo-nomadisme";
2. repenser la nation plurielle et la subsidiarité sans méconnaître les facteurs qui tendent à la désagrégation...
Je vais préparer une note qui développera ces remarques et précisera (un peu...) ma pensée.
Rédigé par : J.-P. Chauvin | 27 mars 2007 à 23:25