L’affaire des travailleurs clandestins qui demandent à être régularisés avec le soutien de leurs patrons est intéressante à plus d’un titre et montre également le cynisme d’un capitalisme sauvage qui revendique de faire les lois quand celles en place ne conviennent pas à ses intérêts.
Qu’il y ait des clandestins utilisés dans la restauration, le bâtiment ou l’agriculture n’est un secret pour personne, mais c’est surtout un scandale social : l’utilisation de ces travailleurs est le meilleur moyen qu’a trouvé un certain patronat pour ne pas augmenter les salaires comme le rappelle depuis déjà bon nombre d’années Jean-François Kahn. Ainsi, ces personnes qui sont rentrées illégalement sur notre territoire, souvent en espérant trouver « un avenir meilleur » que celui qui était le leur dans leur pays d’origine et intégrer une société de consommation dont les médias mondiaux se font les chantres, sont les jouets d’une « politique sociale » (ou, plus justement, « antisociale »…) qui les dépasse. Peut-on leur en vouloir d’espérer, parfois de façon illusoire ? Sans doute non, mais raisonner en termes seulement économiques est, en définitive, la pire des choses car elle fait de ce qui ne devrait être qu’un « moyen » une fin : ce renversement de perspective est le plus dangereux qui soit, autant sur le plan de la paix intérieure et extérieure que de l’environnement ou du social.
D’autre part, cette situation apparaît paradoxale au moment où une grande part de la population active est soit au chômage (environ 8 %), soit en emploi précaire, et qu’une partie des travailleurs de ce pays sont considérés comme « travailleurs pauvres » dont certains sont en situation de surendettement important ou de « mal-logement ». Mais il faut bien admettre que les travailleurs clandestins (qui appartiennent souvent aux catégories précitées) sont embauchés dans des secteurs peu attractifs ou aux conditions de travail pénibles, secteurs désertés par les Français « de souche » mais aussi par les « nouvelles populations françaises » qui s’entassent dans les « banlieues verticales » des métropoles et dont les plus jeunes refusent de faire ce que leurs aînés ont fait, dans une sorte de « révolte générationnelle » larvée mais bien réelle. J’ai pu aisément le constater lors de mes 9 années passées aux Mureaux où la plupart des élèves en difficulté du collège refusait toute orientation vers des filières professionnelles courtes et revendiquaient « le droit au lycée », c’est-à-dire « au bac », malgré des problèmes scolaires évidents ou des comportements peu compatibles avec l’apprentissage des connaissances… Ceux qui ont enseigné (ou enseignent encore) en ZEP comprendront aisément de quoi je parle.
Le drame est que l’éducation nationale, par ses blocages et ses préjugés, a largement participé à cette dévalorisation du travail manuel et n’a pas su jouer la carte de la pluralité des possibilités professionnelles, condamnant tous les jeunes, par sa logique de l’absurde et la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, au même modèle scolaire survalorisant un bac qui, en définitive, est devenu un « droit » et une « obligation » sans véritable valeur autre que celle que l’éducation nationale et les lycéens qui le passent lui prêtent : en paraphrasant un ancien ministre gaulliste de la Cinquième République, « le bac n’engage que ceux qui y croient »… Il faudra bien sortir un jour de ce piège mortifère pour les jeunes comme pour notre société.
On comprend mieux ainsi pourquoi tout, dans notre belle République « néolibérale », se conjugue pour exploiter des travailleurs venus d’ailleurs sans, parfois, connaître ni nos mœurs, ni nos codes (y compris celui « du travail », de moins en moins crédible et respecté…), tandis que nos compatriotes et les immigrés venus légalement en France se retrouvent parfois dans des situations sociales délicates et peu favorables à l’épanouissement personnel.
Que faire ? Régulariser en masse les travailleurs clandestins serait une erreur car cela signifierait que les lois en vigueur et le « code du travail » comptent pour rien et qu’il suffit d’être « de bonne foi » et « utile économiquement » (aux yeux du patronat) pour avoir le droit de devenir travailleur français, voire, en un deuxième temps, citoyen français. Une régularisation exceptionnelle pour quelques uns de ces travailleurs est envisageable mais doit s’accompagner d’une véritable politique éducative pour permettre à ces personnes de trouver leur place, légalement désormais, dans notre société : il ne serait pas choquant de leur imposer des cours de langue et d’histoire françaises, par exemple, pour leur permettre de mieux comprendre leur pays d’accueil et d’emploi, ainsi que leurs droits sociaux…
Mais, en même temps, il faut revoir notre système éducatif et l’accès au monde professionnel pour rendre plus attractif, pour nos jeunes, des métiers aujourd’hui (et souvent à tort) mal considérés. Cela implique de changer l’esprit même de l’enseignement et ne pas négliger de l’ouvrir plus sur le monde du travail.
D’autre part, il faudra bien évoquer une revalorisation, y compris salariale, de ces professions aujourd’hui « en manque de bras » : il n’est pas normal d’avoir, dans notre pays, environ UN MILLION d’emplois non pourvus…
Dernière chose (pour l’instant, ce qui ne veut pas dire que je n’ai rien à ajouter…) : il serait temps de repenser un véritable aménagement du territoire qui permette de penser ensemble emploi, qualité de la vie et société de sobriété… Encore une de mes marottes, diront certains… Il me faudra en reparler…