Je me suis retrouvé lundi après-midi, par le plus grand des hasards, à moins qu’il s’agisse d’un signe de la Providence, quelques années en arrière, en fait plus de deux siècles ! J’étais devant le château de Versailles, non loin des fenêtres du roi Louis XVI, tandis qu’une foule vociférait et tirait des coups de feu en l’air : le 6 octobre 1789 ! Soudain, la fenêtre du premier étage s’ouvrit et le roi s’avança, sans un mot, puis salua la foule grondante : observant la scène, je ne pus m’empêcher de lancer un vibrant « vive le roi ! » (vieux réflexe, sans doute…) qui fut repris par des dizaines de poitrines massées sous le balcon royal… Mon cri tombait bien, c’était dans le script… et dans l’histoire !
Rassurez-vous, si j’ai bien vécu cette scène, je n’ai pas pour autant abusé de substances hallucinogènes : je me suis juste retrouvé à côté du tournage d’un film sur les derniers moments de la Monarchie à Versailles, sur les lieux mêmes où s’était joué le drame… Drôle d’impression néanmoins que ce retour en arrière, ce voyage dans le temps, qui me faisait être là où, en définitive, tout s’est fait, ou plutôt, « défait ». Dans son « Histoire de France », Jacques Bainville décrit sobrement la scène et ses conséquences : « La foule se porta alors sur Versailles, envahit l’Assemblée et le château, égorgea les gardes du corps, réclama la présence du roi à Paris. La Fayette le promit et, le 6 octobre, toujours accompagné de l’émeute, ou plutôt son prisonnier, conduisit dans la capitale, roi, reine, dauphin et députés. On se consola en répétant le mot idyllique : « Nous amenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. » La vérité, très grave, c’était que la royauté et l’Assemblée (qui, regardant l’armée comme une force contre-révolutionnaire, n’avait pas admis un instant la résistance) avaient également capitulé. Désormais, l’émeute tenait ses otages. Le jour où les plus violents seraient maîtres de Paris et de sa municipalité –de sa Commune,- ce jour-là, ils seraient les maîtres du gouvernement. L’histoire, le mécanisme, la marche de la Révolution jusqu’au 9 thermidor tiennent dans ces quelques mots. »
Ainsi, le 6 octobre, date à peine évoquée dans les manuels scolaires, apparaît-elle déterminante car elle marque effectivement la mise sous tutelle d’une royauté et de son Assemblée nationale (acceptée par le roi, peut-être d’ailleurs comme un moyen de court-circuiter des privilégiés qui, auparavant, avaient tant fait pour l’abaissement de l’Etat royal…), tutelle terrible car sans chefs autres, en attendant pire, que l’Opinion parisienne, celle de ceux qui parlent le plus fort, parfois au détriment de la simple raison et, en tout cas, de la juste mesure. On connaît la triste suite et fin de cette tragédie qu’il était encore possible, au matin du 6 octobre, d’éviter…
« Vive le roi ! », clamais-je, dans une sorte de cri instinctif qui était le même que celui d’une foule qui ne pensait pas encore à la République si d’autres, plus discrets et manœuvriers, trouvaient dans les événements un moyen de s’approcher du Pouvoir avant que de se l’approprier…
Je fermais les poings : ah, si le 6 octobre 1789 le roi avait osé la fermeté, la suite tragique serait-elle advenue ? Si Louis XVI avait été Louis XIV ! Mais le roi de 1789 était persuadé, sans doute, que les hommes étaient bons et raisonnables, qu’ils ne se risqueraient pas à d’autres violences et que tout finirait par s’arranger et par quelques chansons...
Par quelques chansons ? « La Carmagnole » fut le dernier chant qu’entendit, un matin du 21 janvier 1793, ce roi humaniste…
Sans doute, en ce jour d’un hiver aussi froid que la Terreur est glacée, selon le mot de Saint-Just, « Louis Capet » repensa-t-il à ce 6 octobre versaillais et à ses rêves d’humanité qu’il était peut-être, en fait, le seul à espérer…
Ce lundi, devant le balcon du roi, j’ai serré les poings : je connaissais la fin de l’histoire.