Depuis quelques temps déjà, il est de bon ton dans la presse parisienne et sur les tribunes politiques de dénoncer la monarchie qui régnerait sur la France, et d’en appeler à la République, la « vraie » bien sûr, qu’il s’agirait de restaurer
Plus de deux siècles après l’établissement, un peu brutal, de la Première, qui allait être suivie de quatre autres, nous serions quand même encore en Monarchie, qui plus est en pleine déliquescence
Je tiens à rappeler quelques points pour éviter ce genre d’abus de langage qui semble désormais n’avoir pour seul objectif que d’empêcher de poser les bonnes questions quant à la nature de l’Etat dans notre pays. Rétablir le juste langage politique, c’est faire uvre utile pour le débat nécessaire sur les institutions.
Nous sommes bien en République aujourd’hui : même si les intentions du fondateur de la Ve République étaient empreintes d’un esprit monarchique indéniable et qu’il a sans doute pensé, un moment, faire appel au Comte de Paris pour lui succéder et, pourquoi pas, permettre l’instauration d’une Monarchie qui aurait pérennisé les institutions dans ses grandes lignes (c’est une question dont je reparlerai car elle n’est pas négligeable), la forme de l’Etat est républicaine au sens commun du terme, c’est-à-dire, comme la définissait Anatole France, qu’elle se marque par « l’absence de roi ». Dans la France de 2006, le Chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct pour une durée, depuis le référendum de 2000, de 5 ans. L’une des grandes différences d’avec la Monarchie royale, c’est justement le mode de désignation de la magistrature suprême de l’Etat, qui est même « la » différence par excellence, car elle touche à l’essence même de l’Etat. Lorsque de Gaulle a décidé, malgré l’opposition des juristes et des « républicains » (on trouve toujours plus républicain que soi : en d’autres temps, Danton, Brissot ou Robespierre en ont fait l’amère expérience, y laissant leur tête au passage
), de proposer l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel (en 1962), il pensait ainsi arracher celui-ci aux jeux partisans : il y voyait « la rencontre d’un homme et du peuple », au-delà de la démocratie représentative incarnée par les parlementaires. Mais, dès la première élection de décembre 1965, cet espoir (cette illusion ?) fut déçu par la mise en ballotage du général, qui en conçut d’ailleurs une forte amertume. Mais ce sont les élections suivantes, après le départ du fondateur de la Ve, qui prouvèrent combien il est vain de vouloir échapper aux jeux partisans dans une démocratie libérale (par opposition à la démocratie totalitaire que j’évoquais dans une précédente note). Au contraire d’une Monarchie héréditaire « à la française », la magistrature suprême de l’Etat se retrouve ainsi la proie des factions et des querelles, parfois plus « personnelles » que vraiment politiques : c’est d’ailleurs le grand drame de la République actuelle, qui voit ainsi la tête de l’Etat soumise à une véritable « migraine » politique, quand deux membres du même gouvernement ne pensent qu’à se livrer une guerre sans merci, sans aucun égard pour les devoirs d’Etat qui sont pourtant les leurs. C’est bien la moins monarchique des règles qui préside à ce combat fratricide
Cela étant, il faut reconnaître que, au-delà de cette différence fondamentale avec le mode de succession héréditaire de la Monarchie française, la Ve République peut avoir des aspects empruntés à l’histoire et à la pratique capétiennes, ne serait-ce que parce que de Gaulle avait de la légitimité une idée qui n’était pas particulièrement, ou pas seulement, républicaine, et qu’il lui semblait, avec raison, que la France passait avant toute considération politicienne ou électorale : en somme, conscient de la longue Histoire de France et de tout ce qu’elle devait aux Capétiens, il s’est comporté en « régent » soucieux de « ne pas insulter l’avenir » et sa Ve République, surtout sous son règne et malgré sa forme républicaine, apparaît parfois comme « un hommage du vice à la vertu »
Mais ce n’est pas, malgré cela, la Monarchie capétienne, et le képi du général, tout compte fait, n’a pas été remplacé par la couronne fleur-de-lysée.
Ainsi, cette République, aujourd’hui déliquescente et qui donne une si mauvaise image à notre pays, souffre de ses propres principes et de ses pratiques qui oublient les grands adages de la Monarchie, comme, entre autres, « Savoir raison garder » ou « Servir, et non se servir » (formule popularisée au XXe siècle par
de Gaulle
). M. Chirac n’est que la caricature d’un monarque, sa singerie grimaçante : il n’est même pas Louis XVI qui porta sa charge jusqu’au sacrifice suprême parce que c’était son devoir et qu’il ne s’y est pas dérobé, malgré ses maladresses et ses erreurs.
Mais il y a peut-être une similitude avec 1788 : désormais, l’Ancien régime, c’est cette République qui divise les bonnes volontés et décourage les initiatives, cette République bloquée que Bruno Frappat évoquait, il y a déjà dix ans, comme une « démocratie bloquante », faute d’avoir la force et le courage de se réformer. La VIe République (mais pourquoi ne pas passer directement à la VIIe ou à la VIIIe, cela gagnera du temps
) ne résoudra pas la grande question de l’Etat, elle ne sera qu’un pansement sur un jambe de bois.
Il faudra bien, un jour ou l’autre, sortir des préjugés et poser, honnêtement et politiquement, la proposition monarchique comme une alternative possible à la crise récurrente de notre régime politique : il n’est pas dit qu’elle soit immédiatement comprise ni même qu’elle soit en mesure de saisir sa chance au moment opportun, mais il lui faudra courir le risque de l’Histoire et de l’Action si elle ne veut pas devenir un simple fantôme de notre passé.